Compte rendu initialement publié sur Parutions.com, le 11 février 2005.

Philippe Vilain, Défense de Narcisse

Grasset, 2005, 234 pages

ISBN : 2246672716

L’autofiction semble s’ancrer de plus en plus fortement dans les champs de recherches de la littérature contemporaine. Après l’étude de Philippe Gasparini, Est-il je? Roman autobiographique et autofiction (Seuil, Poétique, 2004), l’essai de Vincent Colonna, Autofiction & autres mythomanies littéraires (Tristram, 2004), c’est au tour de Philippe Vilain, auteur lui-même de textes autobiographiques (L’Étreinte, La Dernière Année, Le Renoncement et L’Été à Dresde, publiés respectivement en 1997, 1999, 2001 et 2003 chez Gallimard) de proposer une Défense de Narcisse (Grasset, 2005).

Son propos, on le comprend à la simple lecture du titre, est sans ambiguïté : il s’agit de se faire l’avocat d’un pan important de notre littérature actuelle trop souvent vilipendée sur la base de critères moraux et non esthétiques, comme on l’attendrait. Ce «mépris intellectuel» (p.7) dont souffre l’écriture autobiographique, plus précisément l’autofiction, est paradoxalement un mépris imputable à la méconnaissance du genre. Là où l’on voit souvent narcissisme, mesquineries du moi, impudeur outrancière, on oublie que c’est face à des objets littéraires que nous nous trouvons, face à des écritures et des démarches qui ne visent pas l’auto-contemplation, comme certains voudraient le faire croire, mais qui tendent à une recréation du moi dans l’espace textuel, à une littérarisation de soi.

Philippe Vilain explique justement que le geste d’inscription du sujet ne peut en aucun cas être l’équivalent de l’eau dans laquelle Narcisse se mirait. Car l’écriture de soi ne conduit pas à une autoreprésentation simple et limpide mais, au contraire, à son échec. Le moi représenté dans le texte n’est en fait qu’un autre moi, un double, un simulacre comme l’explique l’auteur: «quand écrire sur soi conduit fatalement à se rater, à se représenter l’image d’un autre, la plus fidèle représentation de soi ne devrait-elle pas alors se trouver, plus subtilement, non dans l’image dissemblante de soi, non dans cette peinture manquée, mais dans le geste même de ce ratage dont l’inaccomplissement même renvoie à l’impossibilité de se figurer totalement en autre et permet déjà de se représenter par défaut ?» (p.19) Ainsi parlait déjà Michel Leiris de l’acte autobiographique, en 1948, dans Biffures (Gallimard) : «cette course tendue qui, devenue son propre objet…»

L’auteur, on le sait, connaît son sujet puisque, avant d’être essayiste, il est de ces écrivains d’eux-mêmes, souvent incriminés. Il évoque ainsi dans son texte certaines de ses œuvres et notamment celles où sa relation avec Annie Ernaux, qui fit de lui le personnage principal de L’Occupation (Gallimard, 2002), est abordée. Ainsi sont mises à jour les relations intertextuelles, les échos, la genèse de l’œuvre autofictive qui, contrairement aux a priori, naît autant du moi que de l’Autre.

Fictionnalisation de soi, écriture et psychanalyse, «cartographie du littéraire» sont autant d’autres thèmes approchés qui font de cet essai un ouvrage riche et utile sur l’écriture du moi. Le long entretien avec Serge Doubrovsky qui vient clore l’analyse (dans lequel nous apprenons la volonté de l’inventeur du concept d’autofiction d’écrire un essai sur le sujet) permet, une fois encore, de clarifier certains aspects de ce genre, qui, quoi qu’on en dise, se porte bien, et continue à faire parler de lui.

Arnaud Genon