"Faux-Père", de Philippe Vilain : "J'ai le sentiment d'être écrit par l'écriture"

LE MONDE DES LIVRES | 03.10.08

Malgré la grande confusion et les malentendus persistants autour de l'autofiction ; malgré les attaques répétées contre ce genre qu'on utilise comme un "contre-produit d'appel" - ainsi qu'on a pu le voir en cette rentrée avec Tristan Garcia qui définit son premier roman, La Meilleure Part des hommes (Gallimard), comme une "anti-autofiction" -, Philippe Vilain persiste et signe. Et ce de très belle manière avec Faux-Père, un court roman acéré et mélancolique sur le refus de paternité, l'incommunicabilité au sein d'un couple, mais aussi sur le renoncement. Thème central dans l'oeuvre de cet écrivain à la prose tenue et élégante, qui reste toujours à distance de tout pathos, de tout sentimentalisme.

Un romancier qui n'a jamais dévié de cette voie autofictionnelle où il s'est engagé dès ses débuts avec L'Etreinte (Gallimard, "L'Infini", 1994), et pour laquelle il a écrit un brillant plaidoyer, Défense de Narcisse (Grasset, 2005), en faveur des écrits intimes et autobiographiques. Aujourd'hui, non sans tristesse, Philippe Vilain confie : "Mon essai n'a rien changé. La confusion règne plus que jamais. On met dans le même sac autofiction, roman et récit autobiographiques. "Autofiction" est devenu un mot valise avec lequel on dit tout et son contraire." Lorsqu'on l'interroge sur les raisons de ce malentendu, il tente une explication : "Peut-être est-ce le concept d'autofiction tel que l'a défini Serge Doubrovsky qui pose problème. La définition convenait à ses textes et à son écriture, mais il y avait de telles clauses restrictives que c'était inopérant pour les autres écrivains." Rappelons le début de cette définition : "Fiction d'événements et de faits strictement réels. " (Fils, Galilée, 1977).

D'ailleurs, si Philippe Vilain dit avoir été très "doubrovskien" à ses débuts, il avoue volontiers en "être revenu". "Mes livres portent la mention de "roman", ils ne sont pas autobiographiques comme j'ai pu le lire récemment. Il s'agit d'une tentative romanesque pour appréhender mon vécu. Je ne suis pas dans l'exactitude factuelle ou événementielle. Je m'autorise la liberté de modifier les noms ou les lieux." Et d'ajouter : "Mon travail est une sorte de recréation imaginaire de mon vécu" - amoureux le plus souvent. C'est vrai depuis L'Etreinte, dans lequel il relatait une passion défunte entre le jeune narrateur et une romancière de renom - Annie Ernaux, dont Philippe Vilain ne cache pas l'influence. "Je suis tombé amoureux d'une écriture avant de l'être d'une femme. Il y a sans doute eu une tentative alors d'appropriation mais partielle, souligne-t-il, car outre que nos styles diffèrent sensiblement, contrairement à elle, je suis dans une littérature d'analyse psychologique. Disons que c'est une appropriation de l'esprit d'Annie Ernaux. Ce qui m'impressionne le plus chez elle et que j'ai retenu, c'est la littérature comme un couteau, comme un choc. Ou, comme disait Kafka, "la hache qui fend la mer gelée en nous"."

Mais plus qu'Annie Ernaux, "la" référence pour Philippe Vilain, c'est Benjamin Constant. "J'aime sa précision, sa concision, son sens de l'ellipse. Pour moi, il est inaccessible. Il incarne l'écriture de l'intelligence absolue, de l'exigence..." L'exigence d'être au plus vrai, au plus juste de ses émotions. Comme en témoigne chacun de ses romans - définis comme des "tentatives de réappropriation de mon passé, pour sauver et comprendre", selon la formule beauvoirienne. Des romans qui s'ancrent dans la perte d'un être cher (La Dernière Année, très beau récit sur son père) ou d'une relation amoureuse complexe, vécue souvent par ses narrateurs à contre-temps, dans une sorte de nostalgie anticipée.

Quand on lui fait remarquer cette valse à deux temps de ses doubles, Philippe Vilain sourit : "C'est vrai, soit j'anticipe, soit je suis dans la rétrospection. Le seul présent valide est celui de l'écriture. Cela tient sans doute au fait que je suis un grand anxieux. J'ai besoin d'éprouver les choses pour savoir, d'éprouver la douleur afin de faire le deuil avant que l'histoire ne s'achève. Il y a une sorte de lien indissociable non pas entre l'écriture et la vie mais entre l'écriture et ce que je vis." Il ajoute : "Etant à la recherche d'une vie romanesque, j'ai le sentiment d'être écrit par les situations et les personnes que je rencontre."

Et sans doute par les chaos de l'existence, comme on le devine à la lecture de ce Faux-Père qui met en scène un écrivain trentenaire et professeur de lettres. Obsédé tant par la beauté des femmes que par l'ennui qui l'étreint depuis l'enfance et l'aspire vers le plaisir, il erre de maîtresse en maîtresse. Incapable de se fixer, de s'engager. Même avec Stefania, une rousse tout droit sortie d'un tableau de Goya avec laquelle il a entamé une liaison transalpine entre Paris et Turin, ville où il enseigne quelques jours par mois. De quoi susciter le manque, attiser le désir et cultiver une certaine forme de détachement amoureux. Reste qu'un jour, la belle Italienne, romantique et passionnée, lui annonce qu'elle est enceinte. Sous le choc, loin de parler, d'évoquer cette paternité imposée, ce "viol" symbolique, le narrateur se mure dans le silence, erre dans une ville grise et en chantier qui lui renvoie l'image de son désordre et de son désarroi.

Près de Stefania, épanouie et resplendissante, il compose, drapé dans une apparente félicité, attendant le soir où, seul, il pourra déverser dans son journal à traits secs, tranchants, rageurs ses peurs et ses hantises qu'il tente de dompter par l'écriture. Puis, alors qu'entre les lignes s'estompe peu à peu la rancune - qui fait place à la résignation, au renoncement par amour -, un drame va surgir des pages mêmes de son journal. Un drame grâce auquel ce fils "deviendra" père. Le temps d'un livre grave et profond sur la paternité non désirée (sujet rarement abordé par un homme), mais aussi sur le désir, l'amour et l'engagement au risque de se trahir.

Ces questions hantent l'oeuvre de Philippe Vilain qui confesse volontiers qu'écrire est un "tourment". Avant de lancer dans un ultime aveu : "J'attends la femme définitive qui me fera cesser d'écrire."


FAUX-PÈRE de Philippe Vilain. Grasset, 112 p., 11,90 €.

Christine Rousseau

Article paru dans l'édition du 03.10.08

Liens :

Le Monde des livres

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Source

http://www.lemonde.fr/livres/article/2008/10/02/faux-pere-de-philippe-vilain_1102138_3260.html