Frédéric Beigbeder et ses doubles, Alain-Philippe Durand (études réunies par), CRIN 51, Rodopi, Amsterdam – New York, 2008. ISBN 978-90-420-2472-4.

Frédéric Beigbeder à la loupe

L’œuvre de Frédéric Beigbeder ne peut qu’intéresser toute personne s’interrogeant sur l’autofiction, même si, comme le note l’auteur lui-même, seul L’Amour dure trois ans peut, au sens strict, être considéré comme appartenant au genre. Les autres œuvres de l’écrivain, que nous pouvons envisager comme autofictives dans un sens plus large, entre romans autobiographiques et autofabulations, ont néanmoins aussi amené les contributeurs du présent volume – journalistes, romanciers et universitaires – à questionner, pour la première fois, le travail du « symbole d’une nouvelle génération de romanciers qui agacent l’intelligentsia ».

Alain-Philippe Durand remarque dans son introduction que la grande majorité des universitaires, critiques et intellectuels mésestiment ou ignorent les livres de Beigbeder du fait de sa « personnalité et de ses activités multiples ». Alors, au-delà des provocations, des contradictions et des frasques de l’auteur, il fallait s’intéresser à l’œuvre en invitant tout aussi bien les pro et les anti Beigbeder à s’exprimer, pari ici tenté.

Premier constat, les anti Beigbeder n’ont pas voulu, à l’exception de Richard Millet, répondre à l’appel lancé par A-Ph. Durand. Peut-être parce qu’il est plus facile de lancer rapidement un « je préfère concentrer mon énergie à écrire sur de vrais écrivains » que de développer des critiques souvent hâtives et injustifiées. Les poseurs ne sont donc pas toujours ceux que l’on croit.

L’intérêt de cet ouvrage réside dans la multiplicité des angles à travers lesquels est envisagée l’œuvre de Frédéric Beigbeder. On y trouvera d’abord une correspondance et un entretien inédits de l’écrivain. Il y expose, à huit ans d’intervalle, ses réflexions sur l’utilité de la littérature, sur sa manière de construire ses livres, sur les auteurs qui l’ont influencé. Dans un entretien avec Richard Millet se profile tout ce qui l’oppose à l’auteur de Ma vie parmi les ombres. L’un, Millet, est élitiste, puriste, veut sauver la langue française, l’autre, Beigbeder, cherche avant tout à décrire son temps. Aussi, dans son article « Pour un nouveau Nouveau roman », Beigbeder aborde la place de l’autofiction dans la littérature contemporaine et soutient l’idée que « le roman post-Nouveau roman revient (…) au réalisme par le truchement du ‘moi’ ».

Benoit Duteurtre souligne, dans « Beigbeder et son contraire », toutes les contradictions et les paradoxes qui hantent le travail et la vie de l’auteur de Vacances dans le coma afin de révéler que c’est justement là que se situe le cœur de son œuvre, dans ce « mélange de dandysme et de gauchisme, de cynisme et de sentimentalisme, de chic et de vulgarité »… Autre romancier s’exprimant ici, Philippe Vilain se penche sur « l’ego beigbederien » en dévoilant que l’un des intérêts des textes de Beigbeder « réside dans sa pratique autofictionnelle, plus exactement dans l’exploitation particulière de la première personne. »

Viennent ensuite les analyses universitaires. Celle d’Alain-Philippe Durand, « Défense de Narcisse (Frédéric Beigbeder) », interroge dans son propos très intéressant la manière dont l’auteur « repositionne la fonction de l’écrivain dans son rapport au réel, aux sujets de l’actualité, en créant le néologisme ‘autoréalité’ ». La confusion entre fiction et réalité, la création de doubles narcissiques sont ainsi abordées afin de révéler que l’œuvre se positionne comme « le reflet de notre société, de ce nouveau régime de fiction qui selon Augé, ‘affecte la vie sociale au point de nous faire douter de la réalité’. » Ralph Schoolcraft III, dans « Pour prendre au sérieux Frédéric Beigbeder » cherche à aller au-delà des critiques superficielles généralement faites à l’auteur pour se livrer à une « lecture sociopolitique » convaincante.

Plusieurs études se concentrent principalement sur une œuvre du romancier. Martine Delvaux analyse la manière dont « explose cet homme-bombe, ce fêtard dépressif, ce grand-petit garçon, comment il fait voler en éclats narrateur et forme romanesque » dans L’Égoïste romantique. Naomi Mandel, s’appuyant notamment sur les travaux de Baudrillard (qui est aussi au centre de l’article de William Cloonan), se penche sur les notions de « fiction et fidélité » dans Windows on the World. Yves de la Quérière, quant à lui, s’attache à Vacances dans le coma en considérant « le lieu, le moment, le milieu » dans lesquels se déroulent les fêtes où se rend le narrateur ainsi qu'à « l’attelage asymétrique » que ce dernier forme avec le personnage de Marc.

Enfin, Sabine van Wesemael s’interroge sur les « caractéristiques spécifiques de cette littérature transgressive contemporaine » dans son article intitulé « Le potentiel transgressif de l’art contemporain » alors que Richard McIntyre, économiste, conclut de manière originale ce collectif avec sa contribution « Shopping avec Octave », dans laquelle il propose une conversation imaginaire avec le personnage Octave Parrango à propos de théories économiques.

Frédéric Beigbeder et ses doubles est donc à la hauteur de son ambition. Il démontre, de manière intelligente, qu’il y a beaucoup plus à dire sur Beigbeder et ses livres que certains voudraient le faire croire. On ne peut qu’être reconnaissant à l’égard de ceux qui ont enfin eu le courage d’aller au-delà des clichés qui entourent encore le romancier.

Arnaud Genon,

Le 4 décembre 2008.

(1) Le titre de cet article fait référence à un récent collectif publié chez le même éditeur, Michel Houellebecq sous la loupe, CLEMENT, Murielle Lucie et Sabine van WESEMAEL (Eds.), Amsterdam/New York, NY, 2007, 405 pp.

Url de référence : http://www.rodopi.nl/senj.asp?BookId=CRIN+51