vilain_neuf.jpg

Philippe Vilain, dans sa toute récente publication sur le genre de l'autofiction d'autant plus vivant que maints critiques structuralistes - et aujourd'hui dépassés - le prétendaient mort-né, propose avec son récent essai L'Autofiction en théorie un tour de piste, axé et donc enraciné dans ce qui constitue l'autofiction: sa propre écriture. Dès le second paragraphe, l'écrivain-théoricien rend hommage à l'illustre et très vivant inventeur de ce terme, Serge Doubrovsky, tout en se distinguant ensuite de la première définition du genre qui date de 1977: "Fiction, d'événements et de faits strictement réels". Nous savons gré à l'essayiste de nous épargner les sempiternelles mêmes citations de la quatrième de couverture au profit d'une exploitation du vaste champ générique à partir de son expérience d'écrivain. En passant par les plus jeunes publications (Philippe Gasparini, Jean-Louis Jeannelle, Arnaud Schmitt) et reprenant des livres et articles moins récents mais pas moins fameux (Philippe Lejeune, Vincent Colonna, Annie Pibarot, Dominique Noguez, Jacques Lecarme, Philippe Forest, Marie Darrieussecq...), Philippe Vilain tente de cerner de plus près la fameuse "hybridité", l'"ambiguïté" du genre sans pour autant l'enfermer dans une liste de définitions trop contraignante qui retirerait le souffle personnel nécessaire à tout auteur. Pour ce faire, l'écrivain-essayiste sort du noir cavernesqe ses divers manuscrits afin de comparer ses avants-textes à l'ouvrage publié et l'approche génétique s'avère fructueuse, car elle lui révèle que les diverses étapes de réécriture éloignaient le texte du purement biographique pour laisser place au "style", et donc, pour parler avec Sartre, offrir au destinataire, son lecteur, de multiples strates, de chemins de lecture, d'interprétations possibles dudit texte. En se remémorant, l'auteur se réinvente, le souvenir n'est plus derrière lui, mais devant lui.

La mémoire, justement, est amplement interrogée dans cet essai de Philippe Vilain sur l'autofiction. En quoi le simple et si décrié enlisement en soi-même se métamorphose-t-il en dépassement de soi vers l'autre, et ceci par le biais de l'écriture? Le fait de récrire ce qui s'est ancré dans sa mémoire l'éloigne-t-il ou le rapproche-t-il de la vérité, SI vérité existe ?

Philippe Vilain, à ce moment, s'éloigne de la définition première de Serge Doubrovsky (que l'auteur du Livre Brisé avait lui-même corrigée à plusieurs reprises au fil des années) pour s'approcher de celle de Vincent Colonna qui élargit la première définition et y intègre aussi la réelle invention de sa vie, toujours sous son propre patronyme.

Mais que fait le lecteur de cette "invention de soi", lui qui est toujours à la recherche du fameux "pacte de vérité" entre l'écrivain autofictionniste et lui-même? Philippe Vilain remet le lecteur – qu'il est aussi lui-même – à sa place et rend au dieu-écrivain ce qui lui est dû: la toute-puissance du créateur. Fi des attentes simplistes du peule lisant ! "Laisser le lecteur dans cette ambigüité, brouiller les pistes, s'arroger la liberté d'exagérer des événements vécus, et, ce faisant, de leur donner un nouveau destin: ce sont là quelques-uns des aspects qui me poussent à faire de l'autofiction mon genre de prédilection (…)" (p. 38.) Cette "fabulation de soi", pour l'auteur, le rapprocherait plus du dévoilement de soi qu'une trop grande insistance sur la loi du non-mentir, du dire-vrai doubrovskyien. La preuve: dans tous ses romans, Philippe Vilain "invente", "fictionnalise" à un moment donné une partie de son vécu et, ce faisant, prévoit ce qui va arriver en réalité, dans sa vie: la séparation avec Annie Ernaux (L'Etreinte), la peur, voir le refus de devenir père dans un proche avenir dans Faux père etc. L'écrivain-Cassandre voit donc dans la prospection inventive de l'écriture romanesque un pendant indispensable à la rétrospection factuelle d'un passé figé (p. 42).

Rarement, et le genre de l'essai y est surement pour quelque chose, les équations de ce genre nous paraissent un peu trop rapides. Lorsque Philippe Vilain écrit que son équation personnelle "fiction-écriture-vie" est inverse de celle de Doubrovsky "vie-écriture-fiction", il nous semble qu'ici, ses souvenirs des textes doubrovskyens datent (de peu) car SD n'a cesse de répéter que lui aussi est écrit par sa vie. Le Livre Brisé n'est-il pas l'exemple de la fonction prospective de l'autofiction, même involontaire? D'ailleurs Philippe Vilain conclut par une définition qui pourrait rejoindre celle de l'inventeur du terme: "Fiction homonymique ou anominale qu'un individu fait de sa vie ou d'une partie de celle-ci. (p. 74).

Philippe Vilain a réussi, avec ce second livre théorique sur les questionnements autour de l'autofiction, à nous faire voyager à travers des flots de pensées diverses tout en nous gardant bien dans sa barque de romancier autofictionnel et nous donne envie de lire son prochain "roman" à travers ce qu'il dévoile de ses procédés d'écriture. Faites vite, Philippe! Ecrivez!

Isabelle Grell