Sur Frédéric Beigbeder, Un roman français, Paris, Grasset, 2009

Depuis Mémoires d’un jeune homme dérangé (1990), Frédéric Beigbeder n’a toujours, en fait, parlé que de lui. Empruntant les détours du roman, se projetant dans des alter ego fictionnels (Marc Maronnier, Octave, Oscar Dufresne), cherchant dans l’Histoire les échos à son histoire (Windows on the world, 2003) ou écrivant sur les romans qui l’ont marqué (Dernier inventaire avant liquidation, 2001 – que ne dit-on pas de soi quand on parle de l’Autre), il a entrepris une œuvre autofictionnelle aux allures wildiennes, faussement légère et superficielle, beaucoup plus riche qu’on ne voudrait le faire croire.

Dans son dernier Roman français, Frédéric Beigbeder tombe les masques. Il retire le voile que constituait l’emploi de pseudonymes et affiche clairement son projet autobiographique : « faire le récit d’une demi-part supplémentaire sur la déclaration de revenus de (s)es parents. » Et c’est pour échapper à ce qu’il vit, pour s’évader par l’esprit, lors d’une interpellation par la police puis sa garde à vue pour usage de stupéfiant, que s’impose à lui cette idée.

Problème. Comment entreprendre le récit de sa vie lorsqu’on déclare avoir « effacé (s)es traces comme un criminel en cavale », ne pas se souvenir de son enfance ou la reconstruire par politesse, pour ne pas blesser les proches, lorsque l’on dit être « amnésique »… « Comment fait-on pour se réfugier dans ses souvenirs quand on n’en a aucun ? » Solution, la meilleure. S’en remettre à la littérature : « La littérature se souvient de ce que nous avons oublié : écrire c’est lire en soi. » Frédéric Beigbeder, par cette phrase, signe explicitement un pacte autofictionnel et se lance alors, selon le mot de Barthes qu’il cite, dans « un travail dont l’origine est indiscernable. »

Retour aux sources. Comme dans la plus traditionnelle des autobiographies, le narrateur remonte aux origines familiales. Pour savoir qui l’on est, si tant est que cela soit possible, il faut savoir d’où l’on vient. Aïeuls, parents, familles qui s’unissent, se désunissent… Le petit Frédéric, fils de bonne famille naviguant entre le sud-ouest – Béarn et Pays Basque – et Paris, est marqué dès le plus jeune âge par le divorce de ses parents. Il faut être le lieu d’une faille pour écrire sur soi. Là semble se trouver la sienne. Autour de cette fêlure, le narrateur évoque son éducation sentimentale, les relations entretenues avec les parents, avec son frère. Nous suivons ses tribulations dans les années 60 puis son arrivée dans le monde adulte. Frédéric Beigbeder l’a bien compris, son enfance sera le meilleur de ses romans : « Mon enfance est à réinventer : l’enfance est un roman. » Ces chapitres de l'évocation de l’âge tendre alternent avec le récit de la garde à vue et « le retour à l’état de bête soumise et inquiète » qu’il impose. Le narrateur y dévoile ses peurs, ses angoisses, sa colère aussi.

Il y va de ce roman comme d’une écriture réparatrice. Elle comble les brèches, apaise les douleurs mais dit dans un même mouvement la souffrance de l'écorché vif qu'est Frédéric Beigbeder. Finalement, l’histoire de cette enfance, c’est celle d’un adulte qui en fait le deuil en même temps qu’il la ramène la vie… Et le narrateur d’exprimer lui-même l’enjeu de ce Roman français : « Je dois me souvenir pour vieillir ».

Arnaud Genon