Guibert, redécouvert

Hervé Guibert La Mort propagande Gallimard L’Arbalète 2009 12 euros 50 121 pages ISBN 978-2-07-012584-5

Hervé Guibert La Pudeur ou l’Impudeur BQHL, 62 minutes, 1dvd, 19 euros 99 ASIN: B002OIU8LM

Bonus

Apostrophes - du 16 mars 1990 - Le Sexe Homicide Ex-Libris - N° 84 du 7 mars 1991 - Émission spéciale consacrée à Hervé Guibert Photos d’Hervé Guibert - commentées par Christophe Donner Livret Hervé Guibert

Depuis quelques temps maintenant, les éditions Gallimard nous permettent de (re)découvrir le travail d’Hervé Guibert. Certains de ses textes qui étaient devenus introuvables sont ainsi régulièrement réédités : le roman-photo Suzanne et Louise (2005), le texte issu de l’interview avec la comédienne suisse Zouc, (Zouc par Zouc 2006), les Articles intrépides écrits pour Le Monde de 1977 à 1985 (2008), ont été récemment rendus accessibles.

Avec La Mort propagande, initialement publié en 1977 aux éditions Régine Deforges, les éditions Gallimard nous ramènent aux origines de cette œuvre puisqu’il s’agit là du premier texte de l’auteur rendu public. Guibert n’avait alors que 21 ans. Il commençait ici son exploration du corps et son expérimentation littéraire qui étaient appelées se fondre l’une dans l’autre et à ne jamais se dissocier. Dans la lignée de Georges Bataille, de Pierre Guyotat et de Jean Genet, il offrait là un texte des plus violents, des plus crus et des plus subversifs.

Sans concession, sans pudeur, le narrateur y transforme son corps en laboratoire de jouissance et de souffrance qu’il offre en spectacle au lecteur, devenu malgré lui, comme dans le texte « L’œillade », voyeur et complice de ces mises en scène : « Mon corps est un laboratoire que j’offre en exhibition, l’unique acteur, l’unique instrument de mes délires organiques. Partitions sur tissus de chair, de folie, de douleur. Observer comment il fonctionne, recueillir ses prestations. » Souvent, au plaisir de jouir, se superpose une jouissance du dire. On touche à cette écriture présente dans ce que Roland Barthes nommait le « texte de jouissance » : « celui qui met en état de perte, celui qui déconforte (…), fait vaciller les assises historiques, culturelles, psychologiques du lecteur, (…) met en crise son rapport au langage. »

Cette Mort propagande constitue la mise en mot du projet que Guibert déclinera tout au long de son œuvre : décortiquer le corps, autopsier la pensée, les désirs, les fantasmes, n’en rien cacher, aller au bout d’un dévoilement de soi, en prendre le risque et comme le disait Leiris : « Mettre à nu certaines obsessions d'ordre sentimental ou sexuel, confesser publiquement certaines des déficiences ou des lâchetés qui lui font le plus honte, tel fut pour l'auteur le moyen - grossier sans doute, mais qu'il livre à d'autres en espérant le voir amender - d'introduire ne fût-ce que l'ombre d'une corne de taureau dans une œuvre littéraire. » Et il est plaisant de constater aujourd’hui, plus de 30 après sa première publication, que le taureau de cette œuvre guibertienne n’a rien perdu de sa fougue, que sa corne reste encore menaçante : les vrais subversifs ne meurent jamais.

Dans La Mort propagande, Guibert notait : « A l’issue de cette série d’expressions, l’ultime travestissement, l’ultime maquillage, la mort. (…) Moi je veux lui laisser élever sa voix puissante et qu’elle chante, diva, à travers mon corps. Ce sera ma seule partenaire, je serai son interprète. (…) Me donner la mort sur scène, devant les caméras. Donner ce spectacle extrême, excessif de mon corps, dans ma mort. En choisir les termes, le déroulement, les accessoires. » Etrange prémonition.

BQHL vient d’éditer le DVD de La Pudeur ou l’Impudeur, film diffusé pour la première fois, sur TF1, en janvier 1992 et que Guibert avait réalisé, à l’aide d’un caméscope, entre juin 1990 et avril 1991. Il accomplissait là son « rêve de cinéma » en filmant son combat contre le sida, contre la mort : séance de massage, biopsie à la gorge, rendez-vous chez le médecin, prise de sang. Il n’épargne rien au spectateur, il ne s’épargne pas non plus, allant jusqu’à filmer une tentative de suicide par ingestion médicamenteuse. Se « donner la mort sur scène » avait-il écrit 14 ans plus tôt…

A côté de cette lutte douloureuse, Guibert trouve la force de filmer des images de grâce, des épiphanies que sont les séances de lecture sur l’île d’Elbe, l’attente des amis partis au marché, le bain dans la mer… La Pudeur ou l’Impudeur n’est pas un film sur la maladie. C’est une réflexion sur l’intimité, sur la vie, sur l’écriture, sur l’amour…C’est un chant, tout aussi désespéré qu’apaisé.

Avec ces deux publications, c’est la naissance du projet guibertien et son aboutissement qui nous sont donnés à lire, à voir. On mesurera mieux, en lisant l’une, en regardant l’autre, l’implacable cohérence, la force et la beauté de cette entreprise unique dans le champ littéraire français.

Arnaud Genon