Renaître de ses cendres…

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Mathieu Simonet, Les Carnets blancs, Editions du Seuil, 2010

Hervé Guibert disait tenir aux cahiers dans lesquels il consignait son journal plus qu’à sa vie. Mathieu Simonet s’interroge quant à lui, dans l’avant-propos de ses Carnets blancs, à propos des journaux qu’il a tenus depuis son adolescence : « Faut-il se séparer de ses journaux intimes ? » Comme la réponse est positive, il se questionne aussi sur la manière de le faire.

L’auteur a décidé d’orchestrer la disparition de ses carnets en les déposant dans des lieux publics, des bibliothèques puis en les offrant à des proches, des personnes rencontrées qui les ont transformés, tour à tour, en robe, en gâteau, en fresque murale… Ces dons, qui sont aussi des pertes, des séparations, deviennent l’occasion pour Mathieu Simonet de relire ses carnets et d’y retrouver « des passages essentiels, des scènes oubliées ».

Le présent « roman » est la traduction de cette expérience de la destruction de ses journaux. Mathieu Simonet y parle également de la maladie de sa mère, le cancer, de celle de son père, qui passa plusieurs mois dans un hôpital psychiatrique.

Les Carnets blancs est un roman fragmentaire, éclaté, un patchwork, une marqueterie postmoderne. Cette structure s’explique en partie par le fantasme de Mathieu Simonet « de construire sur l’éclatement ». Ainsi, se succèdent les passages évoquant la relecture des journaux appelés à disparaître – passages permettant un retour à l’enfance du narrateur – des extraits de ces journaux, la mise en scène de leur disparition, des fragments du blog de l’écrivain, des poèmes, des notations de rêves... A cela se mêle le récit lié aux relations familiales, la mère, le père, l’amant, Baptiste. Il est, malgré lui, à l’origine de ce projet puisque, avant d’emménager avec l’auteur-narrateur, il lui demande de faire un tri dans ses affaires, de se séparer de quelques-unes d’entre-elles.

Donc, revenons à la question initiale : « Faut-il se séparer de ses journaux intimes ? » On pourrait répondre oui, à la seule condition d’en faire autre chose, de les faire renaître dans leur « mise à mort » même, de faire de cette destruction d’une écriture quotidienne le socle d’une nouvelle écriture, autofictionnelle celle-là. C’est ce que fait brillamment l’auteur ici, phagocytant l’essentiel de ses journaux pour s’écrire à nouveau, pour retrouver son passé, pour se retrouver dans un geste symbolique de perte et d’abandon du moi contenu dans les journaux détruits. Et c’est dans cette tension, de cette tension, cette dialectique entre la destruction et la construction, entre la perte de soi et le retour à soi qu’elle implique, entre la pudeur et l’impudeur, entre la vie et la mort aussi que se trouve tout le champ émotionnel du roman.

Car si la destruction des carnets est souvent considérée dans son aspect ludique par l’auteur – et l’inventivité dont il fait preuve relève un goût du jeu certain – un de ses amis lui fait comprendre qu’il y a dans ce geste quelque chose de beaucoup moins léger qu’il n’y paraît, quelque chose de grave même, qui met parfois l’écrivain dans un état de malaise. On ne se perd pas, on ne s’abandonne pas ainsi « gratuitement ». Dans ce jeu, le « je » en prend pour son compte. Il y a toujours une part de risque dans l’écriture de soi. C’est là le signe de la Littérature. Baptiste, d’ailleurs, ne comprend pas cette manie de tout raconter, d’aller à « ce niveau d’intimité ». C’est qu’au-delà du jeu, au-delà du risque, l’écriture autofictionnelle se conçoit pour celui qui l’investit comme une nécessité puisqu’elle permet d’exister : « Elle me console comme on ne me consolera jamais ».

Arnaud Genon