Humain, trop humain ?

Alexandre Lacroix, Quand j’étais nietzschéen

Flammarion 2009, rééd. J’ai lu, 2010. 6 € 70

ISBN : 978-2-290-02453-9

9782290024539.bmp

Qu’est-ce qu’être nietzschéen ? A cette question philosophique qui pourrait paraître complexe, Alexandre Lacroix répond par une autofiction drolatique et (faussement) légère – deuxième volet d’une trilogie formée par le présent roman, De la supériorité des femmes et L’orfelin (1) – dans laquelle il relate une année de son adolescence où s’expérimentent, entre autres, la liberté, les contraintes, l’amour, le sexe, les interdits.

Dans cette initiation nietzschéenne à la vie, Alexandre, le narrateur, est accompagné par un ami, Franck. Tous deux se livrent au meurtre d’un chat, multiplient les actes sacrilèges dans les églises, testent les effets de bombes lacrymogènes sur tout ce qui bouge (à deux ou quatre pattes) dans les rues de Paris, crachent sur les livres anti-nietzschéen dans les librairies… et se donnent l’impression de « déranger l’ordre du monde », ressentant paradoxalement la vacuité de la chose : « Notre problème, à nous deux, c’est qu’on est trop libres. (…) Je ne sais pas quoi faire, j’ai l’impression d’être dans le vide et ça me fait chier, à force ».

Plus tard, le cercle s’agrandit et le jeune Alexandre s’acoquine avec une bande d’étudiants plus âgés que lui. Le temps se partage alors entre lectures philosophiques et virées nocturnes. Les journées se passent, se meurent : « Nous n’avions pas le désir de changer le monde, mais plutôt celui d’assister à son anéantissement. Car nous étions, à n’en pas douter, la génération enviable des spectateurs de l’Apocalypse ».

Au milieu de ces blagues potaches, il y a des moments plus graves. L’apprentissage de la vie passe aussi par les drames, les séparations, les abandons. En témoigne l’évocation de Claire, l’amie que le narrateur doit oublier, malgré lui, parce qu’elle le lui demande. Et le jeune Alexandre d’en tirer les conséquences philosophiques qui s’imposent : « Je déciderai que l’amour ne vaut pas la peine, qu’il expose davantage qu’il ne comble. J’oublierai Claire, mais cet oubli même resterai inconsolé ».

Que retenir de ce parcours ? C’est la question que se pose le narrateur à la fin du roman… Le regard qu’il porte sur son passé est empreint d’une certaine nostalgie et dénué d’amertume. Ainsi va la vie. Le jeune nietzschéen est devenu adulte – si tant est qu’on le devienne un jour –, père de famille « soucieux, appliqué, préoccupé, surmené »… Alexandre Lacroix le note lui-même « L’adulte que je suis devenu déplairait probablement à l’adolescent que j’étais ». Certes. Mais lui ne renie pas celui qu’il fut, au contraire, il l’aime bien celui qui en lui était au plus près « du scandale de l’existence ».

Il s’est juste agi par ce roman de « recoller les morceaux » – n’est-ce pas là le but de toute entreprise autofictionnelle ? –, de se réconcilier avec soi-même, et puis, tout simplement, de continuer… N’en déplaise à Nietzsche, on n’est jamais trop humain.

Arnaud Genon

(1) Romans publiés aux éditions Flammarion, respectivement en 2008 et 2010.