Siri Hustvedt est la femme qui tremble,

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Siri Hustvedt mène l'enquête dans l'univers psychiatrique pour comprendre son mal.

Après le décès de son père, universitaire, l'auteur prononce quelques mots à la mémoire du défunt devant un groupe d'amis, face à un pin planté sur le campus. Soudain, prise d'un terrible tremblement, elle lutte, lutte pour continuer de parler. Cette convulsive, c'est Siri Hustvedt, écrivain consacré et épouse de Paul Auster. Cette migraineuse chronique connaît ses classiques. Depuis des années, lectrice obsessionnelle, elle dévore la littérature spécialisée. Psychotropes, sémiologie, troubles mentaux, elle connaît tout. Les spécialistes de l'esprit défilent en rangs serrés dans son encyclopédie portative, de Galien à Damasio, de James à Freud. Armée, elle commence sa traversée dans le seul but de percer l'énigme de ces tremblements. Son livre relate son exploration incertaine, obstinée, des disciplines du cerveau et de l'esprit : psychiatrie, neurologie, psychanalyse, sans compter les psychothérapies de tout poil. Un livre inclassable. Autofiction, document, témoignage ? Peu importe, c'est en écrivain qu'elle s'attaque à son mal.

Lorsque Siri Hustvedt se met à parler en public, le tremblement cesse. Très rapidement, elle rejette l'hypothèse de l'épilepsie car un patient ne peut parler lors de la crise. Avec l'hystérie dédaignée par la psychiatrie scientifique, ce sont les noms prestigieux de Charcot, Freud et Janet qui défilent dans sa mémoire. Six mois après ses premières convulsions, Siri Hustvedt donne une conférence, à l'université de Columbia, dans le cadre d'un programme de "médecine narrative" animé par Rita Charon, une psychiatre littéraire. Il lui faut intégrer son mal dans un récit, le raconter pour en exhausser le sens, faute de quoi, vite épongés par la médecine, un moment fort ou une rupture dans l'existence sombrent dans l'insignifiance. A cette date, elle convoque trois personnages imaginaires en vue d'un roman : un neurologue, un psychanalyste et un psychiatre. Ecrivain, elle joue son va-tout.

Epileptique, son cerveau relève de la neurologie, brillante mais imperméable à l'errance biographique. Hystérique, c'est le grand théâtre d'une vie psychique tordue par le conflit qui se déploie. Mais l'hystérie méprisée, banalisée par la psychiatrie contemporaine, ne fait plus recette. Pourtant, on ne fait pas mieux. Paralysies, cécité et surdité psychiques, insensibilité au mal. Par ailleurs, la neurologie, discipline impériale, fascine Siri Hustvedt. Le maître Kurt Goldstein, en 1908, n'a-t-il pas observé le syndrome de la fameuse main démoniaque ? Une patiente s'étranglait avec sa propre main, devenue rebelle à tout contrôle, une main gauche en pleine sédition. Un cerveau troué peut tout et le "Je" vole en éclats.

Psychanalyste, neurologue et psychiatre débitent leur part de vérité

Mais le désordre psychosomatique n'est pas moins étonnant : "Pauvre V.A. Imaginez la douleur de perdre un enfant à cause d'un problème cardiaque et puis de devenir amoureuse d'un homme qui fait une crise cardiaque après avoir été injustement soupçonné d'avoir attenté à la pudeur d'une jeune fille. Elle a subi trop de coups dans la région du coeur : le sien et celui des gens qu'elle aimait. Le coeur est le lieu métaphorique de l'amour, après tout", explique l'écrivain qui commente cette tranche de clinique.

Comment n'être pas sensible à la puissance de la métaphore ? Dans la culture, les mots servent à dire les maux. Une peine de coeur frappe aussi férocement qu'un accident cardiaque. Par chance, elle trouve un médicament qui suspend ses tremblements. Mais un bourdonnement persiste comme une menace d'éclatement. Elle continue ses consultations chez le psychanalyste, le neurologue et le psychiatre, chacun débitant sa part de vérité. Finalement, elle passe une IRM (Imagerie par résonance magnétique) du cerveau. Encapsulé, immobile, son cerveau est soumis à d'incessants et indiscrets balayages. Heureusement, aucun signe clinique d'épilepsie. Ni lésion ni tumeur. L'imagerie cérébrale, c'est le fantasme de la transparence absolue du cerveau déployant les fastes de la pensée. Enfin voir la pensée, tenir l'âme à la pointe du scalpel ou bien désosser le crâne de Kant pour y déceler, dans la fièvre de la recherche, les prodromes de La critique de la raison pure. Siri Hustvedt a de belles pages sur ce fétichisme scientiste. Aujourd'hui, elle est suivie par une neurologue et une psychiatre, butant sur l'énigme de son mal. Sans lamentation doloriste, la femme qui tremble continue d'écrire et de vivre.