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La première, écrivain à l’éloquence décapante, vient d’obtenir le prix Renaudot pour Apocalypse bébé, un thriller social trash. La seconde, journaliste mode au Figaro, a publié un deuxième roman La vie adulte, chronique d’une jeune fille en mal de mère. Rencontre loin des codes et des modes.

Paru le 27.11.2010

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Madame Figaro. – Apparemment, vous n’avez pas beaucoup de points communs, à part votre prénom. Et vous êtes Gémeaux toutes les deux…

Virginie Despentes. – Je suis née le 13 juin.

Virginie Mouzat. – Moi, le 11. Quelle année, vous ?

V D – 1969.

V M – 1966.

C’est gênant d’être journaliste de mode quand on publie un roman ?

V M – C’est affreux. Qui a envie de lire un bouquin avec, en quatrième de couverture, « Virginie Mouzat, journaliste de mode » ? Je fais tout pour « étanchéifier » mon cerveau mode et mon cerveau de romancière. Mais, à force d’observer ces femmes-là, ça constitue une réserve de symptômes, une banque dans laquelle on peut puiser des choses. C’est intéressant de voir ce que ça dit de la féminité. Malheureusement, la mode est très contaminante sur la littérature…

V D – Moi, j’aurais vu l’inverse, ne serait-ce que parce qu’on parle de style dans les deux cas. J’ai lu une biographie croisée de Lagerfeld-Saint Laurent. Cela me semblait proche du rock.

V M – Surtout dans ces années-là. Après, cela a été moins vrai. Yves Saint Laurent et Karl Lagerfeld figurent dans le livre d’Alicia Drake comme des personnages de roman. Ils pourraient faire autre chose que de la mode.

Vous avez déjà assisté à un défilé de mode ?

V D – Je n’aurais pas la compétence. Ou alors au niveau comique.

V M – Vous voyez : tout de suite, la mode, ça péjore le contenu.

V D – Non, plutôt mon incompétence.

Et vous, vous iriez à un concert punk en banlieue ?

V M – J’adorerais. Ça serait la même façon d’écrire que mes livres, pas comme mes papiers.

Le milieu de la mode a lu votre roman ?

V M – Les gens de la mode ne lisent pas. C’est vraiment étanche. La mode est fondée sur la péremption. Tout devient caduc. Avec un livre, on est dans l’accumulation.

V D – Les livres servent de droit de cité. Ce qui est troublant, c’est que les livres existent quinze ans après.

V M – Oui, dans quinze ans, une lectrice pourrait lire nos livres.

Et un lecteur ?

V M – Je ne sais pas si les hommes ont tellement envie d’apprendre sur les femmes. n revanche, on parle beaucoup plus aux femmes.

Ni l’une ni l’autre n’êtes très portées sur la procréation…

V D – Je ne suis pas mère.

V M – Moi, c’est voulu.

V D – Depuis des dizaines d’années, on dit que la maternité est formidable. C’est démenti par les faits.

V M – C’est un matériau dont on peut débattre à l’infini. Pour moi, ça n’est pas naturel du tout. Je ne crois pas que ça se fasse tout seul.

Pourquoi avez-vous pris le pseudonyme de Despentes ?

V D – Au départ, c’était une histoire d’amendes, pour ne pas les payer. Après, j’étais bien contente d’avoir un pseudo. C’est bien de remplir ses papiers d’administration sans donner son nom d’écrivain. Et puis, c’était pour mon père aussi, pour qu’il ne soit pas le papa de Baise-moi.

Dans votre livre, l’héroïne change son prénom…

V M – Oui, Dominique se fait appeler Nathalie. Autour de moi, quelques personnes ont changé de prénom, pas de nom. Souvent des femmes. Il s’agit de personnalités assez particulières, souvent dans le reniement de leur naissance, de leur mère. C’est leur façon de se choisir un destin, en tout cas d’en refuser un. J’ai une amie qui a changé de prénom, officieusement d’abord, puis officiellement. Il faut pour cela fournir un acte de notoriété. Ça veut tout dire. On organise sa naissance une seconde fois.

V D – C’est drôle, votre héroïne passe d’un nom qui n’a pas de genre à un prénom féminin.

V M – Ça achève de la perturber sur cette question.

Pourquoi un roman et pas de l’autofiction ?

V D – Moi, j’aime bien l’autofiction des autres. Je ne le ferais pas, parce que c’est dangereux. C’est dangereux de fixer les autres, tels quels. C’est une violence à la personne à qui ça arrive. Cela dit, ça peut me tomber dessus après-demain.

V M – Ce qui me fait très peur dans l’autofiction, c’est de ne plus pouvoir en sortir. Si après ça on veut persuader les autres qu’on écrit des romans, bon courage !

V D – Ou alors il faudrait être Hervé Guibert.

V M – Surtout, dans son cas, il y a la mort qui donne un sens à tout ça.

V D – Ça ne va pas suffire de raconter sa vie, sinon on s’y mettrait tous. N’est pas Proust qui veut. C’est un genre, comme le polar, qui a ses codes, ses évolutions, ses maîtres.

V M – Mais qui est toujours en danger d’asphyxie. C’est un genre qui me semble clos.

Vous vous souvenez de votre premier livre, Baise-moi ?

V D – Franchement, je ne savais pas que ça serait publié.

V M – Sinon, vous ne l’auriez pas écrit !

V D – J’ai écrit Baise-moi en trois semaines. Il n’y avait pas d’angoisse. Avant la publication, il s’est passé pratiquement deux ans. J’ai trouvé un petit éditeur. Je pensais que je pourrais le refaire, écrire aussi vite. Ça ne s’est jamais reproduit. Je suis fille unique. Je ne savais pas qu’un jour je vivrais des livres. J’étais entourée de livres. Avant Internet, j’écrivais énormément de lettres.

V M – Vous avez lu le dernier Marie Billetdoux ? Quarante ans de correspondance. C’est extraordinaire. La figure de la mère, la violence que ça suscite dans le cercle familial. Je pense que les romancières sont matricides. Elle a aussi changé de prénom. C’est super intéressant. Ça se lit comme un roman. Ce que j’aime chez vous, c’est que sous l’apparente violence, la stridence, la brutalité, il y a une espèce de cœur, une mélancolie des choses. Le premier battement de cœur pour l’autre jeune femme, c’est un noyau de tendresse foudroyant. Dans mon livre, c’est l’inverse. Il y a le vison, le parfum, mais sous la douceur il y a une monstruosité de cette mère qui lâche tout. Pour une cause. J’aime bien quand ça grince derrière.

V D – La mère, je la trouve inquiétante, mais pas monstrueuse. On se met bien à sa place.

V M – Je ne voulais pas qu’elle s’en aille pour un homme, pour du sexe.

V D – À la fin, elle a l’air totalement heureuse.

C’est comment, de réaliser un film ?

V D – C’est l’inverse d’un livre. Physiquement, c’est plus difficile. J’ai beaucoup de mal à écrire. Au cinéma, tout doit se faire aux dates dites. On ne peut pas reculer. Si ça n’avait tenu qu’à moi, ça n’aurait jamais commencé. Un film, on pourrait dormir, ça se ferait quand même. Écrire, c’est différent. Entre soi et soi, il n’y a rien. Un livre, je n’ai toujours pas compris comment ça se faisait. Un film, on sait. On le sait.

Vous avez aussi du mal à écrire ?

V M – Je me mets une deadline dans la tête. Sinon, j’écris mou et ça m’emmerde. J’écris sur le mode de la performance. Je ne fais que ça pendant deux, trois semaines. Je me clochardise, me désocialise. J’ai besoin d’être sous tension. Quand je lis des livres, je peux entendre le bruit dans lequel ils s’écrivent… ou le silence.

Que lisez-vous ?

V M – Des livres qui me font écrire. Quignard, Baudrillard, Modiano, Marguerite Duras, Joyce Carol Oates, Laura Kasischke, Carson McCullers. Il y a deux catégories de livres qui empêchent d’écrire : ceux qui pétrifient devant le talent et ceux qui font perdre du temps.

V D – Les mauvais livres font peut-être plus avancer que les autres. Un bon, on ne sait pas comment c’est fait. Un mauvais, on voit comment ça déconne, là où ça ne va pas. Djian, moi, j’ai l’impression de comprendre ce qu’il fait. On n’est pas meilleur lecteur de ce qu’on écrit.

Vous lisez les critiques ?

V D – J’évite. On m’en parle. Avec une vigilance plus ou moins bienveillante.

V M – J’attends que ce soit filtré.

Vous avez toujours pour devise « Qui ne doute de rien ne se doute de rien » ?

V M – À mort. Plus que jamais.

Votre héroïne, la Hyène, siffle des filles dans la rue. Vous auriez sifflé Virginie Mouzat si vous l’aviez croisée ?

V D – Avec plaisir.

Qu’est-ce que ça vous a fait d’avoir le Renaudot ?

V D – Ça m’a fait plus plaisir que je ne pensais. Les prix, avant de les avoir, on trouve ça un peu con. J’y ai cru deux ou trois jours avant le vote, quand mon éditeur m’a appelée pour me dire que mon livre avait été remis dans la liste. Un prix, ça permet de voir le décalage de perception entre ce qu’on voulait faire et ce qui en reste. C’est fascinant.

Avoir le prix en même temps que Houellebecq ça vous fait plaisir ?

Ça oui, ça compte. Baise-moi avait été publié en même temps qu’ Extension du domaine de la lutte, il y a seize ans. À l’époque, on ne s’attendait pas à autant de respectabilité.

Justement ce Renaudot ne vous donne-t-il pas un coup de vieux ?

Bah non. Ça, c’était déjà fait l’année dernière, quand j’ai eu 40 ans.

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