Par Christine Marcandier-Bry

Dans le premier volume de la saga Sagalovitsch, Simon partait Loin de quoi, dans un «Canada de cocagne», direction Vancouver : «Trente et un an. Un âge bâtard. Un âge qui ne veut rien dire. Comme le numéro trois dans une équipe de foot». Un océan entre lui et sa mère, lui et la France antisémite. Loin de quoi ? le point d’interrogation avait son importance : peut-on réellement (se) fuir, laisser derrière soi sa «félicité toute zelignienne» (comprenez dépression chronique), sa judéité, son hypocondrie ? Non, sans doute. Difficile pourtant d’aller plus loin : «Après c'était le Pacifique, et puis après c'était quoi déjà ? Le Japon, l'Australie, la Russie ? Enfin, après c'était loin».

Simon Sagalovitsch, initiales S.S., est donc de retour à Paris et dans les librairies : «Et alors le brave Simon est arrivé sans se presser, le bon Simon, le youtre Simon avec ses Tesmesta, sa bouteille de bourbon et son étoile jaune pâlissante», «avorton improbable de juif bancal», pour le second tome de ses aventures de «Juif en cavale», La Métaphysique du hors-jeu, un petit bijou d’ironie existentielle et de second degré.

Simon laisse derrière lui Monika, sa petite amie hollandaise rencontrée au Canada (qui n’aspire plus qu’à se convertir et le retrouver, ensuite), ses rêves d’évasion et rentre au pays, sans en avertir ses parents, pour voler au secours de sa sœur Judith, dépressive chronique elle aussi, et vivre aux crochets de son frère aîné, Daniel, qui collectionne les stock-options comme Simon et Judith les Temesta. Le lecteur découvrira «la subtilité métaphorique du hors-jeu de position passif», que Paris est de nuit une ville «fréquentable», accompagnera Simon au BHV, au parc, à la BNF ou sur les bateaux mouches, entre deux anxiolytiques et deux métaphores footballistiques.

La Métaphysique du hors-jeu est un texte irrésistiblement drôle, dans le genre noir broyé, ludique et capricant, mais pas seulement. A travers des pastiches (des textes de chanson, des titres de tragédies shakespeariennes, un art de la réécriture de Lautréamont qui tourne au running-gag), une interprétation toute personnelle de l’humour juif, désespéré et caustique, Laurent Sagalovitsch offre à ses lecteurs une autofiction au vitriol, un portrait acéré de la société et du mal du siècle, il ose le pire pour construire le meilleur.

Conversant avec Dieu tout puissant, dès les premières pages, Simon a ce dialogue savoureux :

«Toute vie est un échec.
Ce qui fait son intérêt.
Je suppose».

Simon, cultivant sa position (idéologique et métaphysique) du hors-jeu et la dépression comme un èthos comique, se rêve en sauveur de l’humanité, soutien psychologique sur les lieux de catastrophes imaginaires. Que rêver de mieux qu’un rabbin pour se faire «détartrer le cerveau» ? D’ailleurs Simon n’a-t-il pas toujours eu pour ambition de devenir «Rocheteau ou rabbin ?».

Fidèle à sa vocation, il tente également de sauver sa sœur, Judith, qui clame son désespoir misanthropique – «émotivement instable, métaphysiquement irascible» – sur son blog, «avec pour seul but affirmé de cesser d’être une orpheline du web et avec comme conséquence imparable de voir apparaître une référence lorsque sur Google je taperai Judith Sagalovitsch, m’assurant dès lors que je suis bel et bien vivante, que, bien malgré moi, je participe à ce grand élan communautaire de la fragile fraternité de l’existence, des têtes brûlées de l’inexistence». «Rimbalderies, je sais».

Simon, Judith, deux faces d’un même malaise, d’une même ironie du désespoir. Comme l’écrit le psy engagé par le frère aîné, Simon présente «une personnalité attachante, complexe, encore incertaine et en devenir». Un vrai personnage de roman, donc, irrésistible anti-héros «en pleine phase d’anéantissement anarchique» qui rend le lecteur aussi accro que Simon à ses cachets ou ses conversations avec Dieu. Vivement la suite de ce Dieu, Lautréamont & lui.

Laurent Sagalovitsch, La Métaphysique du hors-jeu, Actes Sud, 150 p., 17 €

http://www.mediapart.fr/club/edition/bookclub/article/180111/la-metaphysique-du-hors-jeu-dieu-lautreamont-simon