Modiano palimpseste

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Denis Cosnard, Dans la peau de Patrick Modiano, Fayard, 2010

ISBN 978-2-213-65505-5

Les romans de Patrick Modiano ont toujours navigué entre fiction, autofiction et autobiographie selon les périodes d’écriture. Cependant, sa vie, son œuvre restent un véritable mystère pris dans un « vaste réseau » où se mêlent le vécu et l’imaginaire, les figures littéraires et familiales.

En enquêtant sur la vie de l’écrivain, Denis Cosnard souhaite se livrer à une « radiographie » de ses romans. Disons-le tout de suite, la méthode est dangereuse et plusieurs journalistes ou critiques se sont essayés à ce genre de travail, sur d’autres écrivains, sans véritablement convaincre. Il est en effet risqué de rentrer dans une œuvre par la vie de son auteur, même si la première contient la seconde. Une suite d’anecdotes, de petits faits vrais pourrait nous faire passer à côté de l’essentiel : la littérature.

Dans la peau de Patrick Modiano évite cependant cet écueil. Si la radiographie ne dit pas tout de l’œuvre, ne dévoile pas tous ses mystères, n’entre pas pleinement dans le littéraire, elle ne l’oublie pas. Denis Cosnard explique l’obsession de l’écrivain pour la période de l’Occupation, analyse la place de la figure paternelle et les substituts qui se glissent dans son travail. Le biographique, ici, ne constitue pas une fin en soi. Denis Cosnard a à cœur de le rapporter à l’œuvre et de tenter d’en percer certains des secrets. Ainsi, la mort de son frère, Rudy, à qui l’écrivain a emprunté la date de naissance et dédié plusieurs de ses romans, est à l’origine de la recherche de Modiano « de quelque chose de perdu, la quête d’un passé brouillé qu’on ne peut élucider, l’enfance brusquement cassée, tout cela participe d’une même névrose qui est devenue (s)on état d’esprit ». De même ses origines juives par son père et flamandes par sa mère – « figures centrales dont Patrick Modiano dessine les contours » dans plusieurs de ses romans – expliquent certaines des réflexions qu’a mené l’écrivain sur la double identité.

Dans cette radiographie, l’auteur se penche aussi de manière intéressante sur les romans familiaux de Modiano, sur les parents pour qui il éprouve des sentiments complexes, sur la question de la langue et de l’héritage flamands, sur l’écriture des scénarios dans lesquels il distille de nombreux autobiographèmes. Si l’écrivain n’aura, tout au long de ses romans, parlé que de lui, de ses proches, de ce qui le hante, « toute son œuvre peut néanmoins être lue comme l’histoire d’une résistance à l’autobiographie » nous dit finalement Denis Cosnard. Preuve, s’il en fallait, que l’autofiction n’est pas seulement l’histoire d’un « je », d’un « moi », de vrai ou de faux qu’il s’agirait de démêler, mais d’une écriture qui tente de dire le sujet et ses fantômes et qui dans cette tentative même, dans ce mouvement créatif, devient littérature…

Arnaud Genon