Autofiction versus roman autobiographique

Il ne faut pas mélanger le roman autobiographique avec l’autofiction, telle que la conçoit Serge Doubrovsky.

Pour faire court:

Le roman autobiographique est souvent linéaire, on commence par une introduction classique, une mise en bouche qui narre le point de départ de l’histoire, pour ensuite revenir vers un récit d’une vie vécue avec - ou sans - une autre personne du début à la fin. Souvent il s’agit de romans familiaux ou de problèmes de cœur (brisés), parfois aussi d’épreuves difficiles à vivre et à diriger, à digérer. L’écriture est ici souvent un processus cathartique qui, et cela il ne faut pas l’oublier, l’est aussi pour le lecteur qui cherche à trouver dans l’écrivain un combattant de parcours, quelqu’un qui arrive à mettre des mots sur les maux, qui pense nos propres lésions par un livre relié qu’on a envie de donner à lire à la personne qui nous a blessé.

L’autofiction qui, comme le roman autobiographique, part d’un JE narrateur portant le même nom que l’écrivain, n’est presque jamais linéaire. La forme est bien plus aléatoire, ce qui ne signifie pas qu’elle est un produit du hasard. Au contraire, les sauts de temps, de strates de la temporalité, de l’histoire, sont agencés dans le but que le lecteur ne s’identifie pas obligatoirement au narrateur. La manière d’écrire éclatée d’un Serge Doubrovsky (écriture de la division des peuples, des races, sociologiques, des âges, de la duplicité de soi dans un monde dans lequel l’homme n’a jamais SA place), celle d’une Camille Laurens (partie de la mort de son premier enfant Philippe et qui au lieu de nous raconter uniquement sa douleur nous dit la difficulté de la surmonter dans la moquerie de soi et du travail extrêmement précis de la langue utilisée pour les personnages qui entourent le JE), d’un Philippe Forest (exigence de marier le JE à une histoire universelle : mort d’un enfant, l’histoire de l’aviation), d’un Georges-Arthur Goldschmitt (l’histoire du juif chrétien qui est une homme fait de tous les hommes et qui les vaut tous), d’une Catherine Cusset (Amérique versus France, cultures juives roumaines versus intello parisienne) et j’en passe.

Le roman autobiographique nous offre une version plus personnelle, plus empathique d’une situation vécue et la fonde dans une histoire familiale qui peut être fort inhabituelle. Le lecteur peut regarder au-dessus de l’épaule de l’écrivain, ou disons plutôt que l’écrivain lui permet de le croire, lorsqu’il écrit son journal intime. Je viens par exemple de terminer La Confusion des peines de Laurence Tardieu que je rangerais, s’il le faut, dans le roman autobiographique. Ce livre donne des dates précises, il guide son lecteur à se remémorer des faits précis qu’il a peut-être oubliés ou jamais sus sur l’histoire de pot de vin de son père. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Je ne l’aurais pas terminée si cela n’avait été que ça. Ce roman autobiographique parle d’autre chose : du silence imposé dans une famille bourgeoise et aisée du XVIeme arrondissement. Ce silence n’a rien à voir avec le sort de son père. C’est ce silence qui est important, sociologique, qui ancre ce fait divers dans une écriture plus importante de la mise en abyme de soi dans le monde. Il est dommage que dans ce livre, l’auteure n’ait pas plus joué sur ce thème, n’ait pas plus développé les couleurs de cette solitude qui cachent quelque chose de plus universel, de plus profond que le refus d’un père de voir publié, donc mis en mots, son histoire. L’autofiction, si vous voulez, porte en elle un enjeu plus universel. On n’a pas besoin de savoir si c’est vrai ou pas. C’est REEL.

Et voici le point crucial d’après moi. Le roman autobiographique se joue dans la vérité. Quand on dit vérité, c’est SA propre vérité. Même si plus personne ne prétendrait sérieusement à la vérité en tant que telle. Après Freud, cela est devenu illusoire et bêta. On peut décrire sa grossesse et celle de la toute petite enfance, oui, et en parler de son point de vue comme l’a fait Eliette Abecassis. C’est un bon livre. On peut aussi en parler à travers l’autofiction comme l’a fait Christine Angot dans le terrible mais magnifique Eléonore. On peut parler de la jalousie comme dans maints romans autobiographiques que je ne veux citer ici, mais on peut aussi la vivre à travers une écriture autofictionnelle telle celle de Catherine Millet dans Jour de souffrance (2008). On peut parler de sexe de manière autobiographique, mais on peut la rendre plus universelle comme l’a fait la jeune Emma Becker dans M. (2011)

L’autofiction se meut dans le réel. Les faits sont réels, mais l’écrivain part de ces faits pour en tisser des fils qui, tout en préservant le pacte avec le lecteur que ce qui est conté s’est trouvé avoir été vécu dans la réalité. Les autofictionnistes s’autorisent à inverser des dates, à « oublier » des éléments « vrais », à interférer les vérités. C’est en cela que l’autofiction est souvent plus injuste. Un seul fil est tiré de la pelote de laine de ce qu’est la vie. Et ce fil est tissé à d’autres fils, qui viennent d’autre part et qui, en s’effilant, prennent une place plus grande, telle une toile d’araignée dans laquelle le lecteur peut se laisser prendre et dont, dans le cas d’une bonne autofiction, il ne sortira pas indemne.

On ne lit pas une autofiction comme un roman autobiographique. On ne la lit pas pour s’y retrouver mais pour s’y perdre. Le JE de l’autofiction est un JE universel et non un JEU subjectif. Et cette universalité se trouve transcrite dans le choix d’une écriture au présent, d’une écriture à strates et d’une écriture qui fait voler le miroir en éclats pour mieux y voir le monde en dépit de ne plus se voir soi.

Ceci est aussi vrai pour le film La guerre est déclarée. Comme Philippe Forest dans L’Enfant éternel et Camille Laurens dans Philippe, ce n’est pas un « simple » récit de l’effroyable maladie, voire mort de son enfant. Il s’agit d’autre chose, caché, filé à partir de ce fait de vie (ou de mort). Ce film parle de la SUR-VIE. Qui y a-t-il au dessus de la vie ? qu’est-ce qu’il y a à dire sur la vie ? La vie est-elle sûre ? et d’ailleurs, quelle vie ? j’existe où ? Voilà en quoi ce film, ou celui de Maiwenn le Besco Pardonnez-moi ou encore d’autres films tels My little princess d’Eva Ionesco ou dans un autre registre La Pudeur et l’impudeur d’Hervé Guibert sont des films autofictionnels.