L’intime, le privé, le public dans l’art contemporain, Eliane Chiron et Anaïs Lelièvre (dir.), Publications de la Sorbonne, coll. Arts plastiques – 8, 2012.

A l’heure où l’intime et le privé sont de plus en plus exposés et où ces deux notions visent parfois à se confondre, le présent ouvrage vient repérer la « fonction réciproque de chacun de ces trois concepts » que sont l’intime, le privé et le public. Ainsi, la question qu’ont posée les directrices du présent recueil, Eliane Chiron et Anaïs Lelièvre, est la suivante : « Comment l’intime, le privé et le public s’entrecroisent-ils dans l’art ? » Les réponses apportées à travers les vingt-trois contributions ici réunies s’organisent en trois chapitres.

Le premier d’entre eux, « Croisement des frontières », envisage les concepts sous l’angle interdisciplinaire. A titre d’exemples, Emmanuel Jeuland envisage l’aspect juridique dans « Réflexion juridiques sur l’image, le public et le privé ». La période actuelle, nous dit-il, est celle de « l’apprentissage des technologies récentes » qui entraine un décloisonnement entre le public et le privé. C’est en partant de l’analyse juridique d’une photographie ayant fait l’objet d’un procès qu’il réfléchit « à l’image comme moyen d’articuler le public et le privé ». Il souligne que la distinction entre droit privé et droit public tend à s’estomper et que le travail des artistes met en garde les juristes quant à cette actuelle confusion. L’aspect littéraire est de même évoqué à travers Un dimanche au cachot de Patrick Chamoiseau (Guillaume Pigeard de Gurbert) ou le travail de l’écrivain portugais Antonio Lobo Antunes (Jacinto Lageira). Marie Buscatto s’intéresse aux femmes instrumentistes de jazz, plus précisément à leur capacité de séduction et l’arme périlleuse que cette dernière constitue « dans la protection de leur intimité créatrice comme dans leur capacité à se voir reconnaître en artistes professionnelles légitimes ».

« Habiter l’altérité » est le titre de la deuxième partie. Claire Lahuerta se penche sur le concept de « period rooms, dispositif muséographique en vogue au début du XIXe siècle, qui consiste à présenter une œuvre dans son environnement d’origine reconstitué » à travers l’exemple d´une exposition de 2004 qui eut lieu à la galerie la Maison Rouge. Ce concept vient à démanteler la mise à distance œuvre / spectateur pour privilégier une relation « vampirisante ».

C’est aussi ici l’occasion pour Jacqueline Salmon de revenir sur sa propre pratique d’artiste photographe, recherchant dans les lieux publics que sont les centres sociaux, les prisons ou les camps de Sangatte la manière dont tente de se construire l’intimité. Mais d’autres perspectives sont aussi envisagées, celles du land art (Patrick Barrès) ou de l’espace urbain (Anaïs Lelièvre).

Enfin, c’est sur les corps, « corps cachés, corps exposés » que se clôture le présent ouvrage. Comme le note Eliane Chiron dans sa préface, « il se place sous le signe de la psychanalyse et développe ce en quoi l´art s’en distingue ». Jean- Pierre Sag, psychanalyste, explique que la psychanalyse consiste à permettre une délivrance de secrets ignorés de nous-mêmes – généralement de nature sexuelle – qui « au plus intime de nous-mêmes », attendent d’être délivrés. Plusieurs contributions s’intéressent aux bouleversements survenus suite au développement des technologies de l´électronique et du numérique. Ainsi, Carole Hoffmann s´interroge afin de savoir « comment envisager la question de l’intime dans un monde où se développent de façon grandissante, via le réseau, les pratiques d'écriture de soi comme le journal intime, l’autobiographie et l’autofiction, où les individus se donnent à voir, se livrent et s’épanchent à une échelle planétaire ? » Delphine Colin revient quant à elle sur une pratique personnelle de l´autoportrait à travers la vidéo numérique et révèle que ce travail, plus qu´une exposition d´elle-même met à jour ses « tâtonnements et (s)es contradictions à travers les processus de condensation temporelle, de fragmentation et de transformation dans et entre les images ».

Ce recueil collectif n’est pas spécifiquement centré sur les pratiques autofictionnelles dans l´art contemporain. Mais les problématiques qu´il soulève, les concepts qu´il manie et le large éventail des domaines qu´il aborde ne peuvent qu'intéresser toute personne qui cherche à approcher et à comprendre les méandres du moi dans toutes ses formes d'expression.

Arnaud Genon