Une année qui commence bien, de Dominique Noguez, Flammarion, septembre 2013

Dominique Noguez par lui-même

Né en 1942 à Bolbec (Seine-Maritime) d'un père basque et d'une mère normande. Entre en 1963 à l'École normale supérieure (et en sort). Études de philosophie (avec, notamment, Vladimir Jankélévitch) et d'esthétique. Agrégation (1967) et doctorat d'État (1983). Écrit dans la N.R.F., Les Cahiers du cinéma, et divers autres lieux dont la Gazette de Biarritz.

Outre quelques livres sur le cinéma et un Tombeau pour la littérature (qui comprend une étude sur le silence), il publie M & R (roman mince), Ouverture des veines et autres distractions (textes), Le Retour de l'espérance (aphorismes et historiettes), Les Deux Veuves (récit normand), Les Trente-six Photos que je croyais avoir prises à Séville (espagnolade), Les Derniers Jours du monde (593 pages, roman total, porté à l'écran en 2009 par les frères Larrieu) et Comment rater complètement sa vie en onze leçons (guide).

A aussi écrit un cycle d'« Études plus ou moins sçavantes » (Les Trois Rimbaud, Lénine dada, Sémiologie du parapluie et autres textes, La Véritable Histoire du football & autres révélations) des textes de morale et de politique (La Colonisation douce, Aimables quoique fermes propositions pour une politique modeste) et des traités sur l'humour (L'Arc-en-ciel des humours, L'Homme de l'humour).

La couleur noire lui réussit. En 1997, il obtient le prix Femina pour son roman Amour noir et, en 1999, ses Cadeaux de Noël , publiés chez Zulma, obtiennent le Grand prix de l'humour noir.

Ses chantiers actuels : une pièce de théâtre et un livre autobiographique. Sa perplexité : publier ou non son journal de son vivant ? Deux solutions : 1) le publier ; 2) mourir, pour qu'il soit posthume.

Bibliographie

Romans

– M & R, Robert Laffont, 1981; 2e éd. revue et augmentée, Éd. du Rocher, 1999 – Les Derniers Jours du monde, Robert Laffont, 1991 ; 2e éd., 2001 – Les Martagons, Gallimard, coll. “l’Infini”, prix Roger-Nimier 1995 (Folio n° 3614) – Amour noir, Gallimard, coll. “l’Infini”, prix Femina 1997 (Folio n° 3262) – L’Embaumeur, Fayard, 2004 (Livre de Poche n°30561, 2006)

Récits

– Les Deux Veuves, la Différence, 1990 – Les Trente-six Photos que je croyais avoir prises à Séville, Maurice Nadeau, 1993 – Saut à l’élastique dans le temps, le Mercure de France, coll. «Petit Mercure», 2002

Études plus ou moins savantes

– Les Trois Rimbaud, Éditions de Minuit, 1986 – Lénine dada, Robert Laffont, 1989 ; 2e éd. Le Dilettante, 2007 – Sémiologie du parapluie et autres textes, la Différence, 1990 – La Véritable Histoire du football & autres révélations, Gallimard, 2006

Nouvelles, aphorismes & autres

– Dandys de l’an 2000 sous le pseudonyme de “Collectif ..., Hallier, 1977 ; rééd. sous le nom de D. N., avec un av.-propos et les fragments d’une suite : Éd. du Rocher, 2002 – Ouverture des veines et autres distractions, Robert Laffont, 1982 ; rééd. : PUF, 2002 – Le Retour de l’espérance, le Temps qu’il fait, 1987 – Derniers Voyages en France, notes et intermèdes, Champ Vallon, 1994 – Je n’ai rien vu à Kyoto — Notes japonaises (1983-1996), Éd. du Rocher, 1997 – Cadeaux de Noël, historiettes, maximes, dessins et collages, Zulma, 1998, Grand Prix de l’humour noir 1999 – Immoralités suivi d’un Dictionnaire de l’amour, Gallimard, coll. “l’Infini”, 1999 – Écrit en 1968, Joca Seria, 1999 – Comment rater complètement sa vie en onze leçons, Payot & Rivages, 2002; rééd Rivages Poche / Petite Bibliothèque n° 438, 2003 – Vingt choses qui nous rendent la vie infernale, Payot & Rivages, “Manuels Payot”, 2005 – Avec des si (avec des dessins de Selçuk Demirel), Flammarion, 2005 – Œufs de Pâques au poivre vert, Zulma, 2008

Essais

– Essais sur le cinéma québécois, Montréal, Éditions du Jour, 1970 – Le Cinéma, autrement, 1977; 2e édition : Éditions du Cerf, 1987 – Éloge du cinéma expérimental, Centre Pompidou, 1979; 2e éd. très augmentée : Paris-Expérimental, 1999, Prix du livre art et essai 2000 – Trente ans de cinéma expérimental en France (1950-1980), A.R.C.E.F., 1982 – Une renaissance du cinéma — Le Cinéma “underground” américain, Méridiens- Klincksieck, 1985; 2e éd. : Paris-Expérimental, 2002 – Tombeau pour la littérature, la Différence, 1991 – La Colonisation douce, carnets, Éd. du Rocher, 1991; 2e éd. augmentée en Arléa-Poche, 1998 – Aimables quoique fermes propositions pour une politique modeste, Éditions du Rocher, 1993 – Ce que le cinéma nous donne à désirer — Une nuit avec la Notte, Liège, Yellow Now, 1995 – L’Arc-en-ciel des humours — Jarry, Dada, Vian, etc., Hatier, 1996; 2e éd. Livre de poche Biblio Essais, 2000 – Les Plaisirs de la vie, Payot & Rivages, “Manuels Payot”, 2000; rééd Rivages Poche / Petite Bibliothèque n° 353, 2001 – Le Grantécrivain & autres textes, Gallimard, coll. “l’Infini”, 2000 - Duras, Marguerite, Flammarion, 2001 – Houellebecq, en fait, Fayard, 2003 – L’Homme de l’humour, Gallimard, coll. “l’Infini”, 2004 – Dans le bonheur des villes : Rouen, Bordeaux, Lille, Éd. du Rocher, 2006

Traductions et entretiens

– Entretiens avec Marguerite Duras (1983), imprimés et vidéographiés, Paris, Ministère des relations extérieures, Bureau d’animation culturelle, 1984; rééd. La Couleur des mots, Benoît Jacob, 2001 – Épigrammes de Martial (présentation, choix et traduction), la Différence, 1989; 2e éd. augmentée, Arléa, 2001 – Ciné-Journal (1959-1971) de Jonas Mekas (préface et traduction), Paris Expérimental, 1992

Films – Tosca (1978), 16mm, couleur, sonore, 20’ – Fotomatar (1979), 16mm, couleur, sonore, 12’ – Una vita (1979-84), 16mm, couleur, sonore, 5’

Dernier paru:

Une année qui commence bien, de Dominique Noguez, Flammarion, septembre 2013, 400 p., 20 €.

critique de Florent Georgesco pour Le Monde des Livres http://www.lemonde.fr/livres/article/2013/08/29/dominique-noguez-en-pleine-lumiere_3467770_3260.html

Dominique Noguez en pleine lumière

Que demander encore à quelqu'un qui s'est livré autant qu'on peut le faire ? "Je vais essayer de tout dire" : la première phrase d'Une année qui commence bien est un programme que Dominique Noguez tient avec une rigueur tenace, une sorte d'âpreté dans l'observation de soi qui laissent dubitatif le journaliste venu l'interroger. Tout entier présent dans ce récit d'une passion amoureuse, de ses débuts du moins – six mois d'une vie que l'amour, soudain, accélère –, l'écrivain pourra-t-il l'être autant dans le bureau de son éditrice ?

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A l'écouter parler, raconter l'aventure de ce livre, l'enthousiasme des débuts, les doutes, les scrupules, la lente décantation d'un projet qui s'est confondu avec sa vie, on perd rapidement ses doutes. Ce long affrontement avec la vérité n'est pas achevé, il se continue autour de cette table, en cet après-midi d'août. "Je me suis lancé comme pour un saut à l'élastique, sans être très sûr de l'élastique", dit-il d'une voix douce, qui surprend presque chez cet homme grand, massif. Mais l'oeil frise, et si l'émotion affleurera souvent dans la conversation, l'humour ne lui laissera jamais prendre toute la place. "J'ai atteint, par rapport à ces choses qui me brûlaient, un détachement que je dirais miraculeux."

Vers la fin de l'année 1993, Dominique Noguez rencontre lors d'un colloque un jeune homme d'une grande beauté, dont il tombe immédiatement amoureux. Peut-il espérer une réciprocité ? Dans cette question s'inscrivent les mois que raconte le livre, et toutes les années qui suivront. Le jeune homme, Cyril, aime entretenir l'incertitude, aussi bien sur ses préférences sexuelles que sur ses sentiments. Il se laissera aimer, se reprendra, redonnera espoir, offrira à son amant les joies les plus vives, les chagrins les plus profonds, le fera vivre en somme plus qu'il n'a jamais vécu. Dès le début de 1994, l'envie de fixer ce vaste bouleversement dans un livre s'impose à Dominique Noguez. Le chantier d'Une année qui commence bien est ouvert. Il se souvient : "J'avais conscience qu'il se passait dans ma vie quelque chose d'inattendu, d'extraordinaire, et qu'il fallait peut-être en profiter littérairement..." D'autant que les événements s'enchaînent : d'autres rencontres, évidemment secondaires, une agitation générale, comme si une vanne s'était rompue, et que la vie ruisselait. "Au début du livre, je me donne l'impression d'un soldat de la guerre de 14-18 qui part la fleur au fusil, dans l'enthousiasme, l'idée d'un recommencement. Et puis, très vite, je me suis de plus en plus senti non pas dans un enfer, mais dans un grand purgatoire glacé."

REMUE-MÉNAGE

Cyril s'y connaît en supplices raffinés. Le livre en est, entre beaucoup d'autres choses, le catalogue. Ce n'est pas pour autant un livre de vengeance ; l'incompréhension l'emporte sur la révolte, et l'indulgence, comme un lambeau de l'amour d'autrefois, sur le jugement. "Je voulais être capable de me mettre à la place de Cyril, explique Dominique Noguez. Je peux comprendre que ce jeune homme ne m'ait pas aimé." Au demeurant, on devine bientôt, en lisant Une année qui commence bien, que son sujet est ailleurs. Non dans l'amour même, mais dans le remue-ménage qu'il provoque. Non dans la joie ou le malheur, mais dans cette façon qu'ils ont de vous révéler à vous-mêmes.

Près de vingt ans ont passé entre les premières pages et l'achèvement du texte. L'extraordinaire vitalité dont il fait preuve repose sans doute, en partie, sur cette durée : il inclut ses métamorphoses successives, objet plastique, mouvant, reflétant tout ce qu'il aurait pu être, tout ce qu'il est à la fois. La recherche de la vérité est aussi, pour un écrivain d'une telle rectitude, une recherche de la forme capable de l'accueillir et de la porter plus haut.

Pendant ces vingt années, il a publié plus de vingt livres, dans tous les genres : romans (dont le formidable L'Embaumeur, Fayard, 2004), essais sur les sujets les plus divers, notamment le cinéma expérimental, qui fut, comme universitaire, une de ses spécialités (Cinéma &, Paris expérimental, 2010), livres d'humour (Comment rater complètement sa vie en onze leçons, Payot, 2001)... Cependant, il n'a cessé de prendre des notes, d'accumuler des documents, d'imaginer ce livre alors souterrain, et qui irriguait tout le reste.

"J'ai de quoi faire encore une dizaine de volumes. C'est sans doute une déformation d'ancien philosophe : j'ai tendance, quand j'aborde un sujet, à essayer de l'épuiser." Après une plaisanterie sur le lecteur qu'il espère épuiser le moins possible, il ajoute : "Mais l'essentiel du livre, je l'ai écrit, dans sa forme définitive, en trois ans, de 2009 à 2012. Je voyais mieux comment il fallait que les choses s'enchaînent." Façon pudique de dire la difficulté de passer du projet à la réalisation, de franchir le pas d'un dévoilement de sa vie intime qui n'est pas, spontanément, dans son caractère. Il finit d'ailleurs par le reconnaître : "Pendant ces années de prise de notes, je me disais parfois, en relisant des passages : c'est épouvantable, je n'oserai jamais. L'idée de ne pas publier me permettait d'ajouter : tant pis, faisons-le quand même."

"HOMOSEXUALITÉ EST UN MOT RÉDUCTEUR"

C'est ainsi la première fois que Dominique Noguez parle de sa sexualité dans un de ses livres. Mais ne lui dites pas : la première fois qu'il avoue. La réplique cingle : "Ce sont les coupables qui font des aveux. Moi, je ne me sens coupable de rien." Pourquoi, donc, ce secret longtemps gardé ? "Vous comprenez, je n'étais pas dans un placard, j'étais dans mon jardin." Un silence. "Homosexualité est un mot réducteur. Je ne m'y sens pas réductible, ni sexuellement ni littérairement. Et puis j'avais mon journal, qui a toujours été une espèce de béquille, ou de soupape : un lieu où, dans la plus grande franchise, je disais tout ce qui m'arrivait. Certes, je n'ai pas publié ces pages non plus..."

Est-ce ce goût, non pas peut-être du secret, mot insuffisant, mais de l'abri, du jardin clos où le plaisir se multiplie dans l'ombre, où la vie, ramassée sur elle-même est plus intense ? Une année qui commence bien est un havre, malgré les multiples tourments dont il est le récit : un de ces lieux qu'offre la littérature, à son sommet, pour se souvenir de ce qu'est une vie intérieure. Les émotions, la pensée, les souvenirs, les rêves y circulent avec une liberté qui est, pour le lecteur, comme une respiration plus ample, et qui apaise. "L'autobiographe, propose Dominique Noguez, est une sorte d'espion qui, à partir de lui-même, nous renseigne sur l'humanité. C'est le mot de Montaigne : "Chaque homme porte la forme entière de l'humaine condition.""

Cyril, au bout du compte, passe un peu au second plan. Il aura été le moyen, l'occasion heureuse et malheureuse d'une oeuvre qui le dépasse et qui, par ce qu'elle a d'universel, dépasse son auteur. "D'habitude, raconte ce dernier, on n'arrive pas à se dépêtrer de l'amour-passion. Eh bien, en l'occurrence, c'est ce qui m'est arrivé. Un jour, cette histoire a cessé de me tourmenter. C'était en cours d'écriture, vers 1998, et le projet a changé de nature. L'idée n'a plus été que de faire le plus beau livre possible. Un livre avec le plus de vérité possible." Un grand livre est un tour d'alchimiste : en sortant du jardin, Dominique Noguez a transmué l'ombre où il tenait sa vie, et sa vie même, rassemblée, en une lumière aveuglante. Comment, dès lors, ne pas publier, quoi qu'il en coûte ? La lumière se devait de jaillir ; elle ne sait faire que ça.

Une année qui commence bien, de Dominique Noguez, Flammarion, 400 p., 20 €.