Arnaud Genon, Autofiction : Pratiques et théories ; Articles, Paris, Mon petit Editeur, 2013

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par Isabelle Grell

Arnaud Genon publie avec son dernier livre un manifeste pour la littérature du Je, et il le dit d’emblée, dans son avant-propos : « l’autofiction a ce mérite-là : en faisant parler d’elle, elle fait parler de la littérature. » Les articles rassemblés ici sont donc, comme l’écrit l’auteur, la preuve, le signe de la vitalité de la littérature. Il va donc de soi que les articles, ces prises de paroles critiques, n’engagent non seulement le chercheur Arnaud Genon, mais aussi les écrivains choisis, et donc vus, entendus, lus par le critique. Ils servent encore ceux qui lisent, qui ont besoin qu’on les guide dans le flot d’ouvrages qui inondent les bibliothèques deux fois par an, en avril et en septembre.

Arnaud Genon a choisi de diviser ses publications critiques en deux parties. La première s’attache aux écrivains et leurs livres, aux prosateurs du je, aux accoucheurs du moi, aux inventeurs de vie(s), la seconde analyse les ouvrages majeurs parus sur l’autofiction depuis 2004 en Europe et en-dehors de nos frontières.

Dans les 99 premières pages qui constituent la première moitié intitulée Pratiques, ne pouvaient manquer ceux dont tout le monde a entendu parler, qui ont fait scandale, et vous pensez ici immédiatement à Christine Angot sur qui s’ouvre d’ailleurs cette partie. L’autofiction se traduirait ainsi, chez l’auteur de L'Inceste et d’autres comme « expérience littéraire de la vie, elle en devient ainsi une grille de lecture, son interprétation » (p. 26). Frédéric Beigbeder, avec Un roman français (Grasset, 2009), remarque Arnaud Genon, réinvente dans ses livres, tout comme Christine Angot, incessamment, les failles creusées par et dans son enfance, et en devient ainsi un « écrivain de la fracture ». De ces « écrivains de la fracture », les plus illustres, sera évidemment aussi parlé dans ce recueil qui donne envie de retourner chercher nos livres dans la bibliothèque et de les relire avec, en tête, les commentaires subtils, jamais jargonnards, toujours pénétrants d’Arnaud Genon. Le lecteur trouvera donc les incontournables : Camille Laurens, Serge Doubrovsky et Hervé Guibert, mais aussi Christophe Donner, Dany Laferrière, Abdellah Taïa et Claire Legendre.

Arnaud Genon, ceux qui le connaissent le savent bien et les autres s’en rendent compte en lisant ses divers livres parus jusqu'à aujourd’hui, est un critique généreux. Il le prouve en faisant aussi une place à des écrivains moins connus, mais reconnus par le critique perspicace et lecteur boulimique qu’est cet auteur de Autofiction : Pratiques et théories. C’est avec plaisir que le lecteur trouvera des textes sur plusieurs auteurs dont on se réjouira de faire connaissance, si cela n’était pas déjà fait, tels le sagace Laurent Herrou, Georges-Arthur Goldschmidt – le plus ancien en âge ici et le plus injustement méconnu-, Antoine Silber et son écriture sobre et puissante, le déchirant Philippe Mezecaze, la douce Marie Nimier, l'inventif Mathieu Simonet, le si peu américain Daniel Mendelsohn, l’intarissable Samuel Benchetrit et d’autres encore.

Des pages 101 à 221, Arnaud Genon fait preuve de son indéniable talent à lire, comprendre et surtout à résumer des écrits théoriques parfois très pointus, souvent compliqués à lire, ce qui est d’une aide fondamentale pour les étudiants en Lettres qui se sentiraient un peu perdu dans le monde de l’autofiction, ce jeu de miroirs de l’écriture.

Bref, le recueil que nous a offert l’un des spécialistes les plus reconnus du moment, Arnaud Genon, mêle le plaisir de la (re)découverte de livres, d’auteurs autofictionnels d’un côté, nous donnant envie de retrouver la lecture, d’y retourner, avec l’utilité scientifique de ce livre pour tout chercheur, étudiant ou juste chaque Etre qui lie la félicité de la lecture à une réflexion sur ce qu’elle traduit de son être-en-situation, au désir de compréhension du je dans et du monde.

Isabelle Grell