Sur Colette Fellous, La préparation de la vie, Paris, Gallimard, 2014, 208 pages, 21 €

Par Arnaud Genon

Texte initialement publié sur La Cause littéraire

L’hommage à R.B.

« Dans le fond, c’était lui qui m’avait poussée à écrire et à dire je, peut-être ne l’avait-il jamais su, mais aujourd’hui j’avais envie de le retrouver comme j’avais retrouvé la voix de Jeff » note Colette Fellous, dans les premières pages de son récit. « Lui », c’est Roland Barthes. La narratrice suivit, entre 1972 et 1976, son séminaire au 6 de la rue Tournon. Jeff, c’est son premier amour. Un américain rencontré furtivement à Paris, avec qui elle entretint une correspondance avant de le retrouver à Washington, pour trois jours seulement, et de le laisser seul à son American way of life… Un peu comme dans un roman de Françoise Sagan.

Ces deux figures, celle de l’amour raté et celle du « guide vagabond », viennent à se croiser alors que Colette Fellous cherche dans de vieux cartons une lettre de Barthes. Y trouvant celles de Jeff, elle y trouve aussi l’occasion de le recontacter et d’entendre, près de 40 ans plus tard, le son de sa voix. Et l’envie de faire revivre celle de Barthes, de la ranimer, la saisit alors, car cette voix, nous dit-elle, l’a toujours accompagnée.

Comme on le ferait avec un cadeau de retour d’un voyage, ou comme le font aussi les photographies qui ponctuent le livre, Colette Fellous nous rapporte ce passé, celui où Barthes offrait à ses étudiants sa complicité, les invitait à écrire, les amenait à découvrir d’autres voix – Proust, Goethe – en confondant, selon sa propre formule, savoir et saveur. Elle rapporte de Barthes des « éclats de vie » capables de venir toucher, « à la manière des atomes épicuriens, quelque corps futur, promis à la même dispersion », ainsi que le maître l’aurait souhaité. Elle rapporte depuis la Tunisie qui était à l’époque son passé, son passé dans une Tunisie qui tente de réinventer son présent.

Barthes, à la fin de sa vie, avait, au Collège de France, préparé le roman qu’il n’écrirait jamais, parce qu’impossible. Dans ces très belles pages, Colette Fellous nous dit que, finalement, lors de ses cours et de ses séminaires, il avait fait beaucoup plus : préparer ceux qui l’avaient côtoyé à la vie, qui, à leur tour, peut-être, feraient de leur vie un roman…

Arnaud Genon