Le corps des mots

Tieri Briet, Fixer le ciel au mur, Le Rouergue, collection La brune, Arles, 2014, 138 pages, 15€30.

01.1.jpg

Tieri Briet écrit et croit en la littérature, en sa force, en ses pouvoirs. Il y croit d’autant plus qu’il s’agit, dans ce très beau récit, d’écrire comme l’on tend une main, la main d’un père, l’auteur, à sa fille, Leán, anorexique, qui a accepté de se soigner et de passer quelques semaines, enfermée, dans un hôpital.

Alors, pour supporter cette épreuve, celle de l’éloignement de sa fille et pour l’aider à supporter la sienne, le traitement, reste l’écriture, pour dire l’amour, les peurs, les espoirs. Pour remonter à l’origine de la « saloperie », pour tenter d’en dénouer les fils… Pour faire advenir quelque chose que seuls les mots peuvent offrir et partager. Les mots, comme l’amour, sont-ils des remèdes ?

Comme les récits peuvent nous aider, que les vies qu’ils racontent peuvent changer les nôtres, Tieri Briet convoque dans son écriture les voix de figures qui l’ont marqué. A côté de Valérie Valère sa « grande sœur romancière » – jeune écrivaine talentueuse, décédée à 21 ans, après avoir relaté les affres de l’anorexie – il invite Musine Kokalari – première femme albanaise à avoir publié dans son pays, persécutée par le régime communiste et morte dans la misère, en 1983 – et Hannah Arendt, ses « deux grands-mères mythologiques », deux modèles de courage, dont les photos sont accrochées en face de lui, dans la chambre où il écrit. A eux tous, leurs mots seront plus forts, leurs histoires porteront celle de Leán : « Elles ont dans leurs ventres appris la force d’un feu mental dont je t’apporte le récit ». Elles l’escorteront, la protégeront.

Fixer le ciel au mur est la lettre d’un père à sa fille, « l’héritage sans testament » qu’il lui lègue. Le récit de Tieri Briet est fait de tous ceux qui l’entourent, l’ami tsigane qui l’écoute (Toutouyou), des proches qui soutiennent, qui aident, de la femme aimée et de l’enfant qui vient à naître. Il est fait de voyages, à l’Est. Il est fait de tous les mots, de ceux que l’on trouve et de ceux que l’on cherche, des SMS échangés, des mots des écrivains, des poètes, des chanteurs qui façonnent nos vies, qui leur donnent corps. Car c'est cela qu’accomplit ce livre : redonner corps, par les mots, au corps de Leán. Et les mots sont d’autant plus beaux qu’ils sont porteurs d’espoirs, comme autant d’autres histoires à écrire…

Arnaud Genon