Le moi sur le divan

Ecritures de soi, écritures des limites, Jean-François Chiantaretto (dir.), Hermann, coll. Cerisy/Archives, 2014, 446 pages, 27 €.

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En 2013, se tenait au centre culturel de Cerisy-la-Salle le colloque « Ecritures de soi, Ecritures des limites » dirigé par Jean-François Chiantaretto. Le chercheur poursuivait là – avec d’autres – le travail qu’il mène depuis plusieurs années sur la littérature personnelle et la psychanalyse, sur « le croisement de l’écriture et de la clinique », comme en témoignent ses nombreuses publications. Le présent ouvrage constitue les actes de ce colloque et réunit les contributions d’une vingtaine de spécialistes des questions liées à la littérature autobiographique (Claude Burgelin, Georges Arthur Goldschmidt, Christine Delory-Momberger…) et à la psychanalyse (Ghyslain Lévy, Jacqueline Rousseau-Dujardin, Sylvain Missonnier…). Cinq parties composent l’ouvrage : « Ouvertures », « Cliniques », « Exils », « Identités » et « Limites ».

Dans la première d’entre elles, Jean-François Chiantaretto révèle en quoi l’écriture de soi consiste justement à délimiter le soi, c’est-à-dire « son lieu (le lieu de l’être/le lieu où être) », en s’appuyant sur les œuvres de deux écrivains de la survivance : Dossier K de Imre Kertész et Histoire d’une vie d’Aaron Appelfeld. C’est par et dans la confiance accordée aux mots que les deux auteurs y parviennent. Liliane Cheilan s’intéresse à « L’autobiographie en bande dessinée ». De par son système narratif particulier qui associe texte et image, ce genre soulève un ensemble de problématiques représentatives de ce qui se joue dans l’écriture de soi. Sont alors ici interrogés le problème de la sincérité, de la place des autres dans le discours autobiographique et de la spécificité de l’image quant à la question des limites : « Elle génère à la fois des limites – quand il s’agit de traduire sans trahir – et des moyens d’aller au-delà de ces limites quand les mots seuls ne pourraient dire aussi bien ».

La deuxième partie aborde la problématique de l’ouvrage à partir de situations cliniques. Les scarifications et les tatouages, les « Histoires de peau » ainsi que les appellent Catherine Matha, font l’objet d’une contribution particulièrement intéressante. La psychanalyste envisage ces marquages corporels comme l’impossibilité pour certains adolescents d’opérer le travail psychologique qui consiste à se construire un passé. Les traces sur le corps deviennent alors un moyen d’inscrire une mémoire capable de conjurer « les drames fantasmés de la perte ». Chantal Clouard se penche sur les activités d’écriture « en situation extrême » puisque proposées à des adolescents hospitalisés pour cancer. La fonction de cette littérature nous dit-elle, est alors de « pousser l’exigence de vérité en direction de la singularité irréductible des expériences traversées ».

L’article de Georges-Arthur Goldschmidt, « Exil, sidération et établissement du ‘soi’ », vient initier la troisième partie. Selon l’écrivain, l’exil « sépare à tout jamais deux aperceptions de soi qui pourtant ne forment qu’une seule et même continuité ». Goldschmidt considère ici ses aspects politiques, géographiques et linguistiques. Arnaud Tellier envisage lui les relations entretenues entre l’écriture de soi et l’expérience du paysage. Les Rêveries du promeneur solitaire de Rousseau puis La forêt interrompue de Georges-Arthur Goldschmidt servent d’appui à son analyse.

« Peut-on écrire son autoportrait ? » se demande Marie Jejcic dans le quatrième volet intitulé « Identités ». C’est partant de l’autoportrait littéraire de Blandine Solange (Inoculez-moi encore une fois le sida et je vous donne le nom de la rose. Lettre d’une psychotique), peintre qui souffrait de « délire passionnel érotique » que la psychanalyste mène cette étude. Par ailleurs, Mireille Fognini s’intéresse au plagiat considéré comme « faille identitaire » par laquelle le plagiaire « expose une souffrance de pensée dont il ignore lui-même les effets ravageurs sur sa croissance psychique et sur son authenticité émotionnelle laissée inexplorée ».

Enfin, on trouvera dans « Limites », en autres études, celle de Christine Delory-Momberger qui s’intéresse à « L’écriture de l’inceste chez Christine Angot » considérée comme « lieu privilégié d’une mise à l’épreuve de la littérature en tant qu’elle aurait à trancher le rapport de la réalité à la fiction ».

On connaissait l’intérêt certain que revêt le regard clinique sur les textes littéraires, quand ceux-ci se donnent pour objectif d’exprimer le moi. Le présent volume, par la diversité des approches et des écritures abordées, en est, s’il en fallait, une preuve supplémentaire.

Arnaud Genon