“Autobiography”: colloque international, Södertörn University, Stockholm, Sweden, 2-4 octobre 2014; Compte rendu par le Dr. Karen Ferreira-Meyers (Shanghai Open University, University of Swaziland, University of Johannesburg)

Le colloque international intitulé “Autobiography” s’est tenu du 2 au 4 octobre à Stockholm en Suède. Organisé par le Dr. Kerstin Shands et Mme Giulia Grillo Mikrut autour de l’autobiographie, l’autofiction et autres formes d’écriture de soi, ce colloque a rassemblé plus de 80 spécialistes qui ont tous fait des communications dans ce vaste domaine.

Ce compte-rendu se concentre en particulier sur les présentations ayant attrait à l’autofiction et à l’autobiographie fictionalisée, qui nous tiennent particulièrement à cœur. Pour de plus amples informations et des articles, il faudra attendre (avec impatience) la publication d’un volume (ou peut-être deux) début 2015, édité par Kerstin Shands, Giulia Grillo Mikrut, Dipti Pattanaik et Karen Ferreira-Meyers.

Dans sa communication intitulée « Fictionalisation in the Journals of L.M. Montgomery », Vappu Kannas de l’Université de Helsinki, a analysé les journaux de LM Montgomery, la mère d'Anne of Green Gables (1908), qui ont attiré l'intérêt public et académique depuis la publication du premier volume par Oxford University Press en 1985. Kannas a surtout parlé des stratégies narratives de ces journaux pour montrer comment l’écriture de fiction a affecté l’écriture du journal et donc de la fictionalisation qui soulève des questions sur la façon dont les genres finalement se croisent, comme dans le journal et le roman, ou l'autobiographie et le journal.

Karen Ferreira-Meyers, dans « Autobiography and autofiction : no need to fight for a place in the limelight, there is space enough for both these concepts », s’est concentrée sur les apports théoriques permettant une discussion des ressemblances et différences entre l’autobiographie et l’autofiction. Vu le fait que les catégories littéraires traditionnelles telles que la fiction et l'autobiographie ont tendance à devenir de plus en plus floues et que l’autofiction ne cesse de croître en popularité au sein de la littérature contemporaine, il s’est avéré nécessaire de poser des questions de classification. L'une des tendances émergentes est de définir l'autofiction comme un genre littéraire, en reconnaissant sa nature hybride. Le néologisme est aujourd’hui assez bien représenté dans les habitudes de lecture et le discours métalittéraire. Cependant, sa signification est ni stable ni univoque.

Dans sa communitation intitulée « No shadows under us”: Fabricated Freedoms and Real Violations in Louise Erdrich’s Shadow Tag », Laura Castor, de l’Université de Tromsø, a parlé des différentes représentations de soi dans Shadow Tag de Louise Erdrich (2010) qui semblent suggérer que, pour les peuples et les femmes autochtones en Amérique du Nord, tout mouvement vers l'auto-libération exige une subversion délibérée afin de violer les structures de pouvoir. Erdrich développe cette énigme en plusieurs points de vue narratifs, y compris ceux de son personnage principal nommé symboliquement, Irene America. Le narrateur entremêle des extraits de journal fabriqué et du confessionnel avec une narration omnisciente à la troisième personne.

Selon Doris G. Eibl de l’Université d’Innsbruck, dans « Writing Herself out of Identity: Leonora Carrington’s Autobiographical Fiction”, l’artiste et écrivaine mexicaine Leonora Carrington (1917-2011) a produit une œuvre impressionnante en marge du surréalisme et des plus complexes qui témoigne de son expérience continuelle de l'entre-différentes langues, cultures, expressions « imaginaires » et artistiques. Sa fiction autobiographique et son œuvre artistique vont certainement au-delà de l'inversion symbolique essentielle à la créativité avant-gardiste. Elle réalise une quête de soi, ce qui revient à une sorte d’ «archéologie du futur» impliquant la récupération et la restauration d'une mémoire de soi qui n'a pas encore vu le jour. En ce sens, Leonora Carrington conçoit son histoire en termes d'invention et de devenir plutôt qu'en termes de reproduction ou de reconstruction, et transcende ainsi les cadres, codes et normes établis, qu'ils soient littéraires, artistiques, religieux, sociaux, politiques ou biologiques.

Dans une communication ayant comme titre « Marie-Hélène Lafon, between novel and autobiography », Anne Coudreuse de l’Université Paris 13 a exploré la façon particulière Marie-Hélène Lafon raconte sa vie dans son dernier roman, Les Pays (Buchet-Chastel, 2012). Le nom du personnage principal est Claire Santoire, à cause de la rivière La Santoire qui coule là où l'écrivain est né et a grandi. Lafon rompt avec les conventions de l'écriture autobiographique comme indiquées dans l'essai bien connu de Philippe Lejeune, publié en 1975, Le Pacte autobiographique. Alors que Marie-Hélène Lafon écrit un roman autobiographique où elle raconte son parcours pour devenir un écrivain. Cette communication a examiné les mondes contrastés d'un personnage sur le parcours difficile de l'auto-quête et les codes sociaux stricts du monde universitaire.

L'écriture autobiographique et l’autofiction, en particulier, ont connu une expansion considérable au cours des dernières décennies. Lut Missine, de la Westfälische Wilhelms-Universität Münster, a proposé une approche pragmatique dans « Autobiographical writing: A Matter of Reading?”. Pour elle, les discussions sur la nature hétérogène de ces genres et l'interaction complexe de faits et de fiction qu'ils représentent, ont souvent tendance à négliger une question plus intéressante: Quand et pourquoi les lecteurs croient ou ne croient-ils pas qu’un récit autobiographique est cela même?

Prenant une position intermédiaire dans les études autobiographiques, entre la « représentation de la vie classique » et la « disparition du sujet post-structuraliste », Missine s’est orientée vers le lecteur et s’est penchée sur les signaux et les stratégies dans le texte et le paratexte qui diriger le lecteur dans son attitude de lecture.

« The Impossibility of Autobiography » est le titre de la communication faite par Hannah Vincent de l’Université de Sussex dans laquelle elle a examiné la tension que le processus d'écriture exerce sur la matière autobiographique et met en avant la notion que l'écriture autobiographique est impossible. Basé sur les idées de Lukacs sur la subjectivité par rapport à l'objectivité et l'apparence par rapport à l'essence, ainsi que les théories de Butler d'identité et de performativité, elle a utilisé sa propre pratique créative afin d'explorer la question de ce qui remplit l'abîme (qui est «je»?).

Dans « Autofiction 2.0 » d’Arnaud Schmitt de l’Université de Bordeaux, il s’est agi de résumer la nature même du dissensus français sur ce que l’autofiction est ou devrait être : deux positions théoriques se détachent nettement. Le premier, qu’il soutient, pourrait être surnommé l'approche rationnelle et prétend qu'un texte, pour le dire simplement, est soit fiction ou fait, tout en étant conscient que cela peut être à la fois, mais jamais en même temps. Cela contredit la notion de l'hybridité de Gasparini. La seconde approche possible de l'autofiction largue la rationalité et favorise un modèle générique indécis: elle embrasse l'indétermination. Dans une certaine mesure, Marie Darrieussecq, Régine Robin, Philippe Vilain ou Vincent Colonna (sans doute le plus fervent partisan de cette approche) voient l'autofiction comme un abri contre la dichotomie rigide inévitable entre fait et fiction. Schmitt a aussi parlé des notions de Marie-Laure Ryan d’ « ontologie scission », des notions de virtualité ou contrefactuels et, enfin, d’expérientialité telle que la conçoit Monika Fludernik.

Anaïs Fusaro, de l’Université de St. Andrews, s’est attardé dans son « Serge Doubrovsky: Autofiction and The Transformation of Grief », aux fissures personnelles que l'écriture autofictionnelle de Serge Doubrovsky. Son œuvre se situe le long des lignes de fractures multiples et émotionnelles. Pour lui, la douleur est non seulement un sentiment; il est la manifestation visible de divers types de deuil. Qu'est-ce que le processus de deuil peut apporter à la construction de soi? Comment son écriture est-elle affectée quand la mort devient omniprésente? Dans quelle mesure la douleur transforme-t-elle l'écriture autobiographique en autofiction?

Dans « Voices and Memories in the Filmic Autofiction of Belleville Baby and The Reunion”, Ingrid Stigsdotter de la Stockholm University/Linnaeus University, a examiné la relation entre autobiographie et fiction dans deux films suédois récents, Belleville Baby (2013) et The Reunion (Återträffen, 2013), avec un accent particulier sur les thèmes de la voix, de la mémoire et de la subjectivité.

« Karl Ove Knausgård’s My Struggle – Autofiction, Authorship and Affects » est le titre de la communication faite par Anna Helle, de l’Université de Jyväskylä. Elle y a parlé de My Struggle de Karl Ove Knausgård (Min Kamp 2009-2011), un roman d'autofiction en six parties à succès immédiat et best-seller à la fois en Norvège et à l'étranger. Qui plus est, Knausgård lui-même est devenu une célébrité internationale. Alors que de nombreux autres auteurs d’autofiction ont tendance à nier le lien direct entre leur travail et leur vie, Knausgård fait le contraire. Helle a utilisé les concepts de l'affect et de l'affectivité dans le but de concevoir l'énorme influence que les romans de Knausgård ont sur les lecteurs en suggérant aussi qu'une grande partie de la fascination provient du sentiment d'authenticité intime que ses romans expriment et suscitent.

Enfin, dans sa communication intitulée « Fictionalised Autobiography: Tahmima Anam’s A Golden Age », Danielle Hall de la Leeds Metropolitan University a analysé l’œuvre de Tahmima Anam (2007), pour soutenir que la forme autobiographique romancé est un outil par lequel les voix personnelles peuvent être réécrites, dans le contexte entourant la guerre de libération de 1971 au Bangladesh. En contraste avec les analyses existantes des autobiographies mâles de Jawaharlal Nehru, Kwame Nkrumah et Nelson Mandela, Hall a voulu démontrer que la forme autobiographique romancée signifie que plusieurs représentations de la participation des femmes à la campagne nationaliste de 1971 réécrivent l’histoire.

par Karen Ferreira-Meyers