« Don Je » (2 vidéos)

Par Laurent Herrou

Voir ici : http://musemedusa.com/dossier_2/laurent_herrou/

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En 2010, je me suis installé à Paris après quinze ans de vie commune avec un homme à Nice. J’y ai mis fin progressivement, en travaillant à nouveau dans la capitale française, en y trouvant de nouveaux repères, en y rencontrant de nouveaux amants, en y réapprenant à écouter et à regarder mon corps — à l’aimer ?

Je suis un auteur de l’autofiction. Mon dernier texte publié alors en numérique (Publie.net, 2008) s’intitulait « Je suis un écrivain ». Pourtant, lors des deux premières années de mon installation, et même si je concrétisais de nouvelles publications en utilisant des textes que j’avais écrits précédemment, je n’ai pas écrit une seule ligne. Je n’en trouvais ni le temps, ni l’envie, je ne percevais pas la chose à dire.

C’est à cette époque-là que je me suis mis à chanter.

A chanter, à faire semblant, à mimer les chansons. A jouer avec mon image, mon corps, mon visage et ma voix, à découvrir vidéo après vidéo de quoi j’étais capable. Non pas que je me sois découvert des dons de chanteur, non, je suis très conscient de mes limites, de la fausseté de ma voix dans les vidéos dans lesquelles je chante vraiment (et vous en avez un exemple avec « Send in the Clowns », instrumental from Barbra Steisand’s cover), mais dans l’interprétation. Dans l’appropriation. J’ai soigné la prise de vue, le cadrage, le décor, le costume, parfois son absence, l’accessoire, le cas échéant. J’ai parodié, j’ai interprété, j’ai dansé également (deuxième exemple, avec « I don’t care », de Ricky Martin). Je choisissais les chansons suivant le message qu’elles véhiculaient, qui souvent étaient un écho de mes propres sentiments tout en étant des références à des chansons du passé que j’aimais (la Bande Originale de « Fame », le premier tube connu en France de Céline Dion et que j’écoutais au lycée, « D’amour ou d’amitié », des extraits de comédies musicales de Broadway) ou à l’actualité (Lady Gaga, Britney Spears, Maroon 5) : je ne pouvais respirer à moins qu’il ne soit « Here with me », rien n’allait normalement j’étais « Torn », je démarrais « Une autre histoire », il y avait un « Hero » au fond de moi si je cherchais bien, et ainsi de suite…

En d’autres termes, vidéo après vidéo, paroles après paroles, je me disais, autrement : c’était une autre forme d’écriture, une autre facette de l’autofiction.

De 2010 à 2012, j’ai réalisé ainsi près d’une centaine de vidéos, la plupart postées sur Facebook. Je continue de façon sporadique à en faire, mais elles sont aujourd’hui sorties de la catharsis nécessaire à cette période-là : accepter mon image et ma voix, pour accepter mon geste — avoir quitté l’autre — et accepter de m’aimer à nouveau.

Dans le cadre du second appel à projets de Musemedusa, il m’est apparu que les deux vidéos choisies, en les associant, reconstruisaient un personnage, mon personnage, mon « Je » : un corps qui cherche la séduction, qui appelle, qui invite ; et un visage ridiculisé (et se ridiculisant, un clown) dont le pathétique reflète un profond mal-être. La recherche forcenée du plaisir du personnage de Don Giovanni, son « insoutenable légèreté de l’être », sa séduction maladive et sa constante insatisfaction font écho aux paroles de la chanson de Sondheim :

Don't you love farce? My fault, I fear. I thought that you'd want what I want - Sorry, my dear.

Ce « Don Je » arbitraire, fragmenté, duel, qui est ma proposition pour la thématique sur Don Giovanni, ne dit rien d’autre, mais par la chanson et l’image, que la comédie misérable, masochiste, de l’homme face à l’amour, et son incapacité à aimer — en l’occurrence : la mienne.

http://musemedusa.com/dossier_2/laurent_herrou/

Laurent Herrou, avril 2014