L’ogre-doux

Mathieu Simonet, Barbe rose, Seuil, 2016, 190 pages, 16 €

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« Je tente d’écrire de l’autobiographie collective ; c’est-à-dire que je mélange mon intimité à celle des autres. Mon écriture à celle des autres. Mon travail est fondé tout autant sur l’écriture que sur le collage de textes ou d’histoires orales qui ne m’appartiennent pas. Je suis un scénographe(1). » Voici présentée – par lui-même – la singulière entreprise de Mathieu Simonet. Depuis la parution de son premier livre, Les Carnets blancs (Seuil, 2010), il écrit sa vie, la fragmente et la mêle à la vie des autres, à leurs voix. Il orchestre des rencontres, des échanges, il fait circuler des secrets (comme aimait le faire Hervé Guibert). En fait, il propose une nouvelle écriture du « je » qui se construit dans et par le dialogue avec autrui qu’elle convoque, qu’elle provoque. Avec Mathieu Simonet, le « je » devient rapidement un « je » pluriel, un jeu tout court. C’est peut-être la raison pour laquelle son travail nous happe si vite, nous embarque et nous invite à le suivre.

Ainsi, après avoir mis en scène la disparition de ses carnets intimes (Les Carnets blancs) en les déposant dans des lieux publics, des bibliothèques puis en les offrant à des proches, des personnes rencontrées qui les ont transformés, tour à tour, en robe, en gâteau, en fresque murale…, l’auteur a, dans La Maternité (Seuil, 2012), fait le récit bouleversant de l’agonie de sa mère atteinte d’un cancer. Mais ici encore, il s’agissait d’un récit choral où se mêlaient à l’écriture du « je » les témoignages de médecins, d’aides-soignants, de psychologues, ainsi que les voix de ses parents.

Avec Barbe rose, c’est à la figure de son père que l’écrivain s’intéresse désormais, un être complexe, torturé, psychologiquement fragile et passionné de littérature. C’est d’ailleurs l’écriture qui les unit, qui les rapproche alors même qu’ils se trouvent, chacun vis-à-vis de l’autre, dans l’« incapacité à communiquer ». L’écriture est pour eux « une Eglise. Un demi-dieu ». Sur l’autel des mots, l’auteur part à la recherche de cet homme qu’il compare à un « mystère », à « un trou au milieu d’un puzzle ». Et pour y parvenir, Mathieu Simonet fouille sa propre enfance (« Je repique mon enfance. Je redistribue les cartes. Je joue l’enfance à chaque livre. En espérant gagner la partie ») mais aussi la correspondance (notamment celle avec Jean Cayrol, à qui le livre est dédié), le journal ou les manuscrits de son père dont il dissémine des extraits tout au long de son livre.

A travers ces fragments, l’auteur rend compte de la relation douloureuse, complice, étrange et ambiguë qu’il entretient avec ce père. Pour preuve, ce roman est en même temps, comme il le note lui-même, un livre sur son père, contre son père, pour son père… Mais on saisit que cette quête est aussi pour l’auteur un moyen de se trouver lui, de se comprendre, de répondre à des questions qui le hantent depuis longtemps… De se construire, afin de devenir un adulte.

Ce roman est enfin un livre sur l’écriture, sur son origine. Sur l’influence qu’a exercée l’écriture du père, comme modèle (« J’étais son apprenti, son fils. Mon écriture vient de là, de son journal ») ou comme anti-modèle (« J’ai besoin que tout soit clair, simple, court, parce que c’est tout ce que mon père ne réussissait pas à faire »). Sa créativité, Mathieu Simonet la dit venir de ces « histoires roses » que lui lisait son père, enfant. C’est un livre sur l’écriture qui se commente lui-même constamment, interroge sa légitimité ou explicite sa mécanique combinatoire : « Un roman, c’est comme un sudoku : tout a déjà été écrit ; tout a une place. Il faut tâtonner pour effleurer les bonnes combinaisons ».

« Ecrire sur les pas de mon père. En murmurant ses mots. L’expérience la plus intime pour un écrivain ». La plus belle aussi. Barbe rose est l’hommage d’un fils à son père, d’un fils qui fait de son père l’écrivain qu’il a toujours voulu être. Leur amour est compliqué, est écorché, s’origine dans des failles, dans des manques. Il ne pouvait se dire que dans un livre, dans ce livre qui, maintenant, les unit à jamais.

Arnaud Genon

1. Mathieu Simonet, « Autofiction et jeux collectifs », Lisières de l’autofiction. Enjeux géographiques, artistiques et politiques, Arnaud Genon et Isabelle Grell (dir.), Presses Universitaires de Lyon, coll. A(etc), 2016.