« Chronique d’un adultère »

Yves Charnet, Dans son regard aux lèvres rouges, Le Bateau ivre, coll. Vert nuit, 2017

Postface de Jean Delabroy

RougeVignetteRecto-e1484406624357.png

Depuis la parution de Proses du fils, son premier livre publié aux éditions de La Table Ronde, en 1993, Yves Charnet poursuit une œuvre autofictionnelle dans laquelle, selon ses propres mots, le « moi » se met en jeu « sans filets ». L’évocation de son enfance, celle de son divorce, de ses passions musicales et littéraires nourrissent son travail tout autant intime que sensible.

Avec Dans son regard aux lèvres rouges, c’est la passion amoureuse que le narrateur-auteur explore cette fois-ci, avec ce qu’elle contient de joies intenses et de douleurs profondes. Cependant – et c’est ce qui fait la singularité de ce livre – plus qu’un moyen de se souvenir, de retrouver par l’écriture les traces de l’amour vécu, ce texte s’est écrit « comme on boit. Pour oublier ». Oublier l’absente, la « morsure du vide ». Faire couler l’encre comme des larmes.

Romy, femme mariée et mère de deux enfants fait irruption dans la vie d’Yves Charnet dans une « robe noire au dos nu ». « Leurs yeux se rencontrèrent » avait écrit Flaubert. « Dans son regard, l’air tremblait », note ici l’auteur. C’est déjà toute une histoire. Un choc, une naissance réciproque de désirs. Rapidement, les amants partagent clandestinement des moments volés au temps, volés aux autres. Les plaisirs du corps, les plaisirs de la chair, les plaisirs de l’esprit se mêlent, entament une danse voluptueuse. Mais cette histoire n’est pas simple, ne peut pas l’être. Entre eux, il y a Marcel, le mari que Romy dit aimer d’un amour vrai. Il y a les doutes de l’amante, la culpabilité, les questions que l’amour pose. Et puis, il y a ce manque. Cette attente. Et le monde qui s’effondre.

Dans ce très beau texte qui prend la forme d’un journal à la temporalité chamboulée, Yves Charnet retrace la « chronique d’un adultère », en même temps célébration de cet « amour bredouillé » et mausolée d’une « Cassandre en toc ».

Ce Romybook a longtemps été, pour l’auteur, une façon de se saouler d’écriture, de souvenirs. D’en avoir la gueule de bois, de cette Romy. Ne plus savoir si cette histoire est vraie. Faire de l’amante une fiction, pour s’en sauver. Pour se sauver. « Je suis venu lécher mes plaies. Mes blessures d’amour. Ce n’est pas du jeu, le je ». Il en va ainsi des autofictions qu’on aime…

Arnaud Genon