par Jean-Marc Laurent http://www.leberry.fr/paris/loisirs/art-litterature/2017/09/08/levasion-du-bataclan_12542276.html

Grièvement blessé au Bataclan, Erwan Larher réussit le défi de faire de l’horreur indicible un « objet littéraire ». En tenant à distance le pathos et en interrogeant les moyens du romancier.

Le métier du romancier est d'écrire des romans. De dire par le livre des choses sur la vie, sur le monde, sur soi, sur les humains. Tout peut être prétexte à autofiction. Surtout l'insignifiant. Mais comment faire de la littérature, et faut-il en faire, avec un événement tellement fort qu'il a déjà généré des milliers d'heures d'images et des milliers de pages ?

Erwan Larher a le triste privilège d'être le « seul écrivain » à avoir été au Bataclan le soir du 13 novembre 2015. Blessé à bout portant par une balle de kalachnikov, il a décliné des dizaines de sollicitation à témoigner dans la frénésie médiatique et était sûr qu'il n'écrirait jamais ce livre qui vient de sortir chez Quidam.

Où commence le roman s'interroge Erwan Larher ?

Jusqu'à ce que cette certitude ne devienne, au fil de la rééducation de ses différents membres, interrogation sur la littérature elle-même et défi de faire d'un fait divers douloureux un objet littéraire en évitant surtout le récit et la chronique d'un rescapé du Bataclan.

Où commence le roman s'interroge Erwan Larher ? Sa réponse passe par la multiplication des points de vue. Ses pensées à lui pendant les heures où il est caillou aux pieds des terroristes, protégé de la mitraille par un pilier. Mais aussi celles des autres, de Iblis avec sa ceinture explosive autour de la taille, de ses copains, copines, fabuleuses Jeanne et Charlotte, Bertrand, de ses parents pendant ces heures interminables rivés à Facebook.

Antihéros Tantôt « vu du dehors », tantôt vu du dedans, Erwan Larher trouve la distance nécessaire en épousant successivement les points de vue à la première et à la deuxième personne du singulier. En faisant preuve aussi d'une extraordinaire autodérision d'antihéros.

« La littérature n'arrête pas les balles. Par contre, elle peut empêcher un doigt de se poser sur une gâchette. Peut-être. Il faut tenter le pari », risque Erwan Larher.

Le livre que je ne voulais pas écrire. Erwan Larher, ed. Quidam, 260 p., 20€.

Jean-Marc Laurent

Avoir pris une balle ne te donne pas plus de légitimité pour l'ouvrir, ni plus de clairvoyance. On se fâche sur les réseaux sociaux, marigot pullulant de rageux qui pensent que respirer donne droit de roter des avis inargumentés, cloaque grouillant d'illettrés, de jaloux, de bilieux, ramassis de petits nombrils agressifs et anonymes, agressifs parce qu'anonymes, avatars surs incapables de penser plus loin que le bout racorni de leur « moi je ». Erwan Larher (page 226)