Appel à communications « Chacun.e cherche Régine Robin »

Journée d’études conjointe du CRIST et du CRILCQ Centre de recherche interuniversitaire en sociocritique des textes Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises 17-18 février 2022, de 9 h à 18 h Carrefour des Sciences et des Arts, Université de Montréal

Comité d’organisation :

Gilles Dupuis, Jean-Marc Larrue, Bernabé Wesley (Université de Montréal)

Pour la lectrice ou le lecteur qui la découvrent, l’œuvre de Régine Robin (1939-2021) offre une plongée unique dans les mécanismes symboliques de la mémoire collective, dans les débats historiographiques des quarante dernières années et dans l’activité mémorielle des œuvres littéraires. De l’essai au roman, de l’écriture de soi à la réflexion historienne, Régine Robin n’a cessé de repenser le champ de la mémoire collective pour y faire une place à la part d’inconciliable, de fantasme et de subjectivité qui caractérisent nos représentations du passé. L’itinéraire de cette intellectuelle née à Paris en 1939 porte le sceau de l’effervescence théorique des années 1960-1970, de l’affaiblissement puis de l’effondrement du marxisme, de la critique des institutions qui émerge de Mai 68 et du dialogue entre les sciences humaines. Historienne de formation, Régine Robin mène d’abord une réflexion sur l’écriture de l’histoire et son épistémologie qui porte la marque du linguistic turn, du postmodernisme et d’une interdisciplinarité appréhendée comme la voie d’une interférence productive entre les savoirs liés au passé. Dès Histoire et linguistique, puis dans Discours et archive, elle fut l’une des premières à engager l’analyse du discours dans une réflexion sur la condition verbale de l’idéologie et à questionner les formes dans lesquelles s’exprime un discours politique ou journalistique. À l’œuvre dans Le Roman mémoriel, cette réflexion historiographique, qui a contribué à élaborer et à délimiter la notion d’interdiscours et à définir celle de roman mémoriel, prend acte du caractère inaccessible du passé et envisage la part du langage et des discours dans l’appréhension des faits. L’écriture du passé suppose dès lors une éthique de l’inconfort intellectuel qui prend la forme d’une pluridisciplinarité et d’un multiculturalisme susceptibles de forger des outils d’interprétation adaptés à l’objet polysémique qu’est le passé. Sa démarche, construire sur des refus fondateurs, aboutit en 2003 à La mémoire saturée, essai prenant la mesure inquiétante d’une époque contemporaine qui tue la mémoire par surexposition et montre que l’art et la fiction forment le hors-lieu où se manifeste la dimension symbolique et humaine de l’histoire et du social.

Ce que Régine Robin nous lègue, ce sont également des lectures remarquables. Figure majeure de la sociocritique, la chercheuse prend en compte tout ce qui, dans la matière textuelle des œuvres littéraires, relève de l’hétérogène et du multiple, de l’hybridité et de la polyphonie. La ligne d’exploration majeure de ces lectures est celle de la culture juive ashkénaze de langue yiddish. L’amour du yiddish envisage par exemple le yiddish du XIXe siècle comme une langue « paria » rejetée par les plus grands penseurs de la « Haskakah », le mouvement des Lumières juives. Au contraire, l’analyse s’arrête sur le sens de la polysémie, de l’équivoque, de l’hybridité culturelle qui ont fait la grandeur des intellectuels et des écrivains de la diaspora juive. Ce voyage dans l’imaginaire d’une culture minoritaire s’accompagne de la traduction de romanciers juifs soviétiques de langue yiddish, et se poursuit avec Le Deuil de l’origine, essai qui montre comment le yiddish est pour Cioran, Kafka, Celan, Freud, Canetti et Perec un idiome perdu dont la présence et l’absence mêlées rendent problématique le rapport à la langue maternelle. Pour sa part, le Kafka de Régine Robin dresse le portrait d’un écrivain « à côté de la plaque », pris entre ses langues et ses cultures et dont l’entre-deux socio-culturel et psychique. Plus récemment, Ces lampes qu’on a oublié d’éteindre propose une lecture très personnelle de l’œuvre de Modiano, dont elle évoque à la fois la vision de l’Occupation, la question de l’identité juive et surtout l’errance dans Paris.

Ce questionnement sur la mémoire et la littérature se poursuit dans des fictions-essais qui, sans être distincts des travaux théoriques et des analyses littéraires, donnent à lire une quête identitaire impossible marquée par la tension entre une reconquête des racines et un démaillage de la mémoire. De l’essai autobiographique Le Cheval blanc de Lénine, enquête sur un passé familial qui se confond avec l’histoire des camps de concentration, à La Québecoite, roman à l’univers urbain façonné par la polyglossie et la conscience diasporique qui raconte une étrange expérience de migration à Montréal, Régine Robin n’a cessé de s’inventer des vies. Nous autres, les autres rouvre cette interrogation sur Montréal, sur le multiculturel, l’identité, mais sous la forme polémique d’un dialogue conflictuel avec le nationalisme québécois. Cybermigrances et Le Golem de l’écriture enregistrent pour leur part l’entrechoc des mémoires individuelles et collectives et s’interrogent sur l’émergence, permise par les nouvelles technologies, de nouvelles formes de l’invention de soi telles que les pseudonymes, les simulations et les identités virtuelles, les créations littéraires cybernétiques, les autofictions, etc. Enfin, cette œuvre lit aussi bien la mémoire du XXe siècle dans les œuvres artistiques et littéraires que dans la textualité d’une ville. Paris, Berlin, Montréal, mais aussi Buenos Aires, New York et Los Angeles sont les lieux d’inspiration de cette infatigable flâneuse qui, de Berlin chantiers à Mégapolis, arpente les musées, les lieux de mémoire, les cafés et les bars, fait entendre une ville qui se dit et se rêve, mais s’interroge aussi sur les grands projets de rurbanisation – tel celui du Grand Paris longuement évoqué dans Le Mal de Paris – qui défigurent une ville plus vite que l’âme des mortels.

Cette journée, qui sera également l’occasion d’évoquer des souvenirs et des aspects de la personnalité de cette intellectuelle hors pair, se déroulera les 17 et 18 février 2022 au Carrefour des Sciences et des Arts de l’Université de Montréal.

Les propositions de communication (un titre et cinq lignes de présentation) doivent être envoyées à jean- marc.larrue@umontreal.ca, gilles.dupuis@umontreal.ca et bernabe.wesley@umontreal.ca avant le 31décembre 2021. Afin de favoriser les échanges, la durée des interventions sera de vingt minutes.

Vos propositions peuvent être orientées en fonction de l’aspect de l’œuvre qui vous intéresse, et dont la liste qui suit n’est ni exhaustive, ni restrictive :

• la réflexion historiographique sur les formes d’écriture de l’histoire • l’analyse des mécanismes symboliques de la mémoire collective • la réflexion sociocritique et la présence au monde de la littérature • Les lectures de telle ou telle œuvre • La place du yiddish et la pensée de la judéité • Les différentes écritures de soi • Les rapports entre recherche et fiction • La flânerie urbaine et la représentation de la ville

Bibliographie

La société française en 1789. Semur-en-Auxois, Paris, Plon, coll.«Civilisations et mentalités », 1970, 522 p.

Histoire et linguistique, Paris, Armand Colin, coll. « Linguistique », 1973, 306 p.

Le cheval blanc de Lénine ou l’histoire autre, Bruxelles, Éditions Complexe, 1979, 159 p. La Québécoite, Montréal, La bibliothèque québécoise, 20191983, 220 p.

L’amour du Yiddish : écriture juive et sentiment de la langue (1830-1940), Paris, Le Sorbier, 1984, 321 p.

Le réalisme socialiste. Une esthétique impossible, Paris, Payot, 1986, 348 p.

Kafka, Paris, Belfond, coll. « Les dossiers Belfond », 1989, 347 p.

Le roman mémoriel. De l’histoire à l’écriture du hors-lieu, Montréal, Presses Universitaires de Montréal, coll. « Essais classiques du Québec », 20211989, 185 p.

La sociologie de la littérature (avec Marc Angenot), Montréal, CIADEST, cahier no 4, 19931991.

Le deuil de l’origine. Une langue en trop, la langue en moins, Paris, Kimé, coll. « Détours littéraires », 20031993, 236 p.

Discours et archive (avec Jacques Guilhaumou et Denise Maldidier), Bruxelles, Mardaga, 1994, 218 p.

L’immense fatigue des pierres, XYZ éditeur, coll. « Romanichels poche », 20041996, 220 p.

Berlin Chantiers. Essai sur les passés fragiles, Paris, Stock, coll. « Un ordre d’idées », 20102001, 450 p.

La mémoire saturée, Paris, Stock, coll. « Un ordre d’idées », 2003, 525 p. Cybermigrances. Traversées fugitives, Montréal, VLB éditeur, « Le soi et l’autre », 2004, 244 p.

Mégapolis. Les derniers pas du flâneur, Paris, Stock, 2009, 397 p.

Nous autres, les autres, 2011, Montréal, Boréal, coll. « Liberté grande », 352 p.

Le mal de Paris, Paris, Stock, coll. « Un ordre d’idées », 2014, 360 p.

Un roman d’Allemagne, Paris, Stock, coll. « Un ordre d’idées », 2016, 296 p.

Ces lampes qu’on a oublié d’éteindre, Montréal, Boréal, coll. « Liberté grande », 2019, 264 p.



Publié par Isabelle Grell