Les écritures de soi, un objet transdisciplinaire ? Enjeux d'une définition et d'une approche historico-littéraires

Université de Rouen, Sorbonne Université

La récente création du site « EcriSoi », fondé par les chercheurs des laboratoires du CÉRÉdI et du CELLF, répond à la nécessité d’un développement des réflexions épistémologiques portant sur les écritures de soi. « Nébuleuse aux contours variables selon les positions théoriques » comme l’a rappelé Françoise Simonet-Tenant (Dictionnaire de l’autobiographie), la notion recouvre généralement « l’autobiographie, le journal personnel, la correspondance et les Mémoires ». Les correspondances – constituées en genre littéraire par leurs publications à partir de la fin du XVIIIème siècle – et les journaux intimes – en plein essor éditorial durant la seconde moitié du XIXème siècle – suivent un mouvement historique dans la canonisation progressive et l’évolution du statut des écritures de soi.

À la suite de ces entreprises éditoriales et des travaux de Georges Gusdorf, la théorie littéraire a contribué à la réévaluation de ces corpus. En effet, les réflexions autour de la littérarité – menées, entre autres, par Gérard Genette (Fiction et diction) et Philippe Lejeune (Le pacte autobiographique) – ont modifié le statut des écritures de soi. Désormais, celles-ci ne relèvent plus de documents non-littéraires, de sources, mais d’œuvres à part entière : des œuvres factuelles.

À partir du XXème siècle, ce concept semble construire une tension : d’un côté, l’objet ainsi désigné se constituerait en fonction d’une appréciation de sa valeur esthétique – c’est la « littérarité conditionnelle » (Fiction et diction) –, de l’autre, il rapporterait des faits – dont Françoise Lavocat a montré qu’ils étaient pris dans une relation avec les « artefacts fictionnels » (Fait et fiction). Les écritures de soi releveraient de la recherche historique et littéraire : la première mettant l’accent sur son caractère factuel, la seconde sur ses phénomènes esthétiques. Il conviendra alors d’interroger ce présupposé, sa valeur et son histoire. Nous souhaitons également en explorer les conséquences : éclaire-t-il un continuum ou invite-t-il à un dépassement ?

L’histoire de la recherche historique synthétisée par Philippe Artières et Dominique Kalifa (L’historien et les archives personnelles : Pas à pas) offre un point d’appui pour interroger nos approches des écritures de soi à partir d’un autre aspect : la réflexion sur l’historiographie des archives de soi. De la conception politique de l’archive personnelle, « énonçant ce que l’on a tu » – à laquelle peuvent être associées les Black studies et les Gay studies –, à une approche plus anthropologique de l’intime dans l’Histoire de la vie privée, jusqu’à leur « banalisation » dans les travaux contemporains, il apparaît que le statut du « je » dans les écritures de soi interroge les historiens comme les littéraires. Outil d’expression de l’individualité d’un sujet, il peut également renvoyer à un monde familial ou social dans lequel le « je » et le « nous » échangent continuellement leurs attributs respectifs.

Cependant, si le « je » présent dans les écritures de soi est lié à un collectif – une famille, des relations, une société, une époque – qui permet d’interroger une construction historique, il n’en demeure pas moins une « locution » (Émile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, t. I) qui réfère à l’instance de discours. La question du sujet réapparaît alors. Ego cogito substantialiste, anticogito structuraliste ou, tel que l’a développé Paul Ricœur, « soi » comme horizon d’une herméneutique (Paul Ricœur, Temps et récit), le sujet se dit à travers des formes de discours que la littérature et l’Histoire peuvent interroger conjointement.

L’approche historico-littéraire des écritures de soi ouvre ainsi des champs de réflexion dans lesquels s’intègreront les communications.

Comment s’articulent les aspects factuels et esthétiques des écritures de soi ?

Selon quelle(s) modalité(s) en fonction des œuvres, des genres et des époques ?

Comment l’historiographie des archives de soi façonnent-elles nos approches ?

Comment les éditions des écritures de soi façonnent-elles nos approches ?

Quelle(s) conséquence(s) sur la pratique éditoriale ?

Comment éditer les écritures de soi en tenant compte de leurs spécificités ?

Sur quelle(s) méthodologie(s) critique(s) une approche historico-littéraire peut-elle se fonder ?

À partir de quels outils d’analyses et de quel corpus ?

Les propositions de communication, d’une longueur comprise entre 300 et 500 mots, accompagnées d’une courte notice bio-bibliographique, sont à adresser avant le 31 octobre 2022 à tristan.guiot1@univ-rouen.fr, violaine.vielmas@univ-rouen.fr, orlane.drux1@univ-rouen.fr sofia.kalogeropoulou@univ-rouen.fr. Les réponses du comité scientifique parviendront fin novembre.



Le colloque se tiendra à l’Université de Rouen (Mont-Saint-Aignan) le jeudi 16 novembre 2023 et sur le site de Sorbonne Université le vendredi 17 novembre 2023.



Comité d’organisation : Orlane Drux, Tristan Guiot, Sofia Kalogeropoulo, Violaine Vielmas

Comité scientifique : Jean-Louis Jeannelle, Françoise Simonet-Tenant, Sylvain Ledda, Aurélien d’Avout, Yohann Deguin, Tristan Guiot, Violaine Vielmas

RESPONSABLE : CÉRÉdI, CELLF

URL DE RÉFÉRENCE https://ceredi.hypotheses.org/6349

ADRESSE Université de Rouen, Sorbonne Université

publié par Isabelle Grell