ZINC, Art, Lettres et Cultures, spécial auyofiction, n° 49 https://revuezinc.com/numero-49/

Il n’y a pas seulement les jeunes femmes blondes et malheureuses qui ont le droit d’écrire de l’autofiction. Un vieux bonhomme moche comme moi le peut aussi.

Cette boutade de Gil Courtemanche à son éditeur Jean Bernier résume à elle seule tous les préjugés à l’endroit de l’autofiction, un genre trop longtemps dénigré parce qu’associé au féminin.

Ici, textes autofictionnels et photos se mêlent dans ce volume à des réflexions, des interviews de haute qualité, apportant des points de vue féminins sur la discussion des écritures de soi actuelles.

Dans "Fiction ou autofictioné, Marie Darsigny voudrait "écrire à la troisième du singulier" afin "de vivre (s)es jours comme si (elle était) une autre". D'un tour de magie disparaître "pour se retrouver ailleurs". Texte court et puissant.

"To be or not to be" de Daphné B., l'auteure dit ne pas aimer le terme d'AUTOfiction "car on dirait que la fiction s'engendre elle-même", "qu'il est secrété comme de la bave". "Ielle pisse sa vie." Elle, elle souhaite une écriture désgenré, à tous les sens du terme.

Perrine Leblanc, Marie-Pier Lafontaine et Véronique Grenier répondent, elles, à un questionnaire précis autour d'interrogations prétendument simples mais qui posent les questions essentielles sur leur démarches personnelle dans l'écriture autofictionnelle.

Le texte "La formation de grès" de Rachael Moorthy, traduit par Bertrand Busson, prend la décision de devenir végétarienne pour prétextte à un drame familial mais aussi culturel et intergénérationnel que l'on suit, les yeux rivés aux lignes-sentinelles sans savoir où l'on atterrira. Formidable!

Huit questions seront posées à Marie-Eve Thuot, auteure de La trajectoire des confettis. Sont évoqués des thèmes aussi divers que son choix de lectures, ses rites d'écriture, des éléments biographiques.

Une sublime découverte sont les photos autofictionnelles, donc mises en scène de son corps d'Andy Jon, "L'intime commz cible". Juste pour cette découverte, il faut acheter ce numéro. Un bijoux.

Un dossier éclairant suit: "L'autofiction vue par les éditeurs" de Jade Bérubé.

Les "Deux droites infinies", texte poignant de Maude Poissant autour du corps de la femme et l'enfantement rappelle, renouvelle les textes dans Nullipares, dirigé par Claire Legendre (ed. Hamac).

Marie-Laurence Trépanier nous offre "L'amour dans le texte, essai d'alchimie poétique". "Si je n'étais pas marginale, je ne serais pas nécessaire. Et je n'écrirais pas.", explique-t-elle dans ces pages presque sartriennes, d'ailleurs cité.

"Tes escaliers mènent nulle part", est le titre de la poésie sans points de Roseline Lambert. Texte graphique, expérimentel qui nous happe.

Lucile de Pesloüan "fait un travail d'archéologie" avec ses Ombres chinoises. On suit l'autrice à travers son journal, des bribes de pensées choisies entre 1991, elle a 8 ans, et 2019. Allez découvrir tout ce qui se passe, cela vaut le détour.

Suit un dernier entretien avec Marie-Andrée Gill par Daniel Grenier. Ils échangent des réflexions autour de l'écriture, le langage écrit et oral, sur la genèse de ce qui advient, sur la beauté et sa place dans le monde.

BREF, volez acheter cette revue riche, enrichissante, esthétique (les photos sont éclatantes) et parfois bouleversante.

Isabelle Grell

Présentation de l'éditeur:

Certains auteurs sont incapables de dire la vérité ailleurs que dans la fiction. S'ils avaient à faire un autoportrait, ils produiraient une bluette sans importance pour se protéger de l'omniscience de leur mère, tairaient des pans importants de leur vie, toutes ces choses qui ne se disent pas en public. Ceux qui ont eu une vie palpitante mais interlope sont souvent contraints par un vœu de silence. La fiction leur ouvre des portes que le récit-réalité n'offre pas. Mais il ne faut pas oublier que l'autofiction est également un mensonge et qu'elle nécessite une mise en forme pour briller. Égocentrisme, héliocentrisme, obsession maladive au sujet de son enfance, idées de grandeur, capacité extrême à poétiser l'ordinaire sont des postures qui nécessitent du courage.

Dans ce numéro de Zinc, nous avons posé des questions sur la fiction et l'autofiction à des éditeurs, écrivains et autres architectes du moi, spécialistes de la mémoire vive, spécialistes de fiction ou de récits-réalité. Jean Bernier, Perrine Leblanc, Olga Duhamel, Marie Darsigny, Daphné B., Véronique Grenier, Mélikah Abdelmoumen, Maryse Andraos, Rodney Saint-Éloi, Marie-Ève Thuot et Marie-Pier Lafontaine nous répondent avec aplomb. Dans ce numéro, découvrez la photographie narrative de la sublime Andy Jon, une traduction du texte Sandstone de Rachael Moorthy, auteure vivant entre les îles de la mer des Salish et la Suisse, ainsi que des textes de Laetitia Beaumel, Maude Poissant, Roseline Lambert, Marie-Laurence Trépanier et Lucile de Pesloüan. Enfin, Daniel Grenier s'entretient avec Marie-Andrée Gill.

publié par Isabelle Grell