L’autrice de 82 ans a été récompensée jeudi par l’Académie suédoise. De quoi nourrir la flamme de tous ceux et toutes celles qui se battent contre les injustices.

Dans l’océan de tragédies qui baigne notre quotidien, l’attribution du Nobel de littérature à Annie Ernaux nous a fait l’effet d’un puissant et bénéfique éclair de lumière. De quoi recharger les batteries pour l’hiver et au-delà, de quoi nourrir la flamme de tous ceux et toutes celles qui se battent contre les injustices, quelles qu’elles soient, et il en subsiste un sacré paquet à travers le monde. Car, avec Annie Ernaux, c’est non seulement la littérature qui est récompensée, mais aussi l’engagement. Qu’on l’apprécie ou pas, on ne peut lui nier un engagement qui ne s’est jamais relâché et qui est même allé croissant avec les années. Engagement pour les femmes, engagement pour la gauche, engagement contre la ségrégation de classe. C’est donc un prix éminemment politique et courageux qu’a décerné jeudi l’Académie suédoise, qui résonne incroyablement à l’heure où les Iraniennes se battent au péril de leur vie contre l’obscurantisme des mollahs, à l’heure où les Etats-Unis restreignent le droit à l’avortement, à l’heure où l’on célèbre les cinq ans du mouvement #MeToo qui a libéré la parole des femmes, à l’heure où un ancien ouvrier brésilien se bat pour débarrasser le Brésil de celui qui piétine non seulement ses habitants mais aussi la planète, à l’heure où un homme ivre de son pouvoir et symbole de virilité exacerbée jusqu’à la caricature menace le monde de l’arme nucléaire, à l’heure où l’extrême droite grignote peu à peu du terrain en Europe.

Annie Ernaux est une femme et une écrivaine indignée et il y a dans cette indignation une force qui irrigue les indignations de nombreux jeunes pour qui, à 82 ans, elle est devenue une icône, mot qu’elle déteste certainement. Annie Ernaux est une écrivaine ancrée dans le réel et c’est ce qui parle à beaucoup ; sa vie, ses drames intimes, ses hontes et ses passions décrites au scalpel ont quelque chose d’universel, d’où son succès par-delà les frontières de l’Hexagone. Et c’est une écrivaine qui l’ouvre, au risque de se faire des ennemis. Qui ose. Nous faisons partie de celles et ceux, nombreux, qui ont pris un jour le chemin de Cergy pour la rencontrer dans sa maison peuplée de livres avec vue sur un lac. Elle nous avait cité cette phrase en affirmant y souscrire totalement : «Quiconque a le pouvoir de se faire entendre a le devoir de parler.» Avec le Nobel, ce pouvoir est désormais démultiplié. Comme le voulait Alfred Nobel qui avait demandé à récompenser une œuvre «à l’idéal puissant».

d'après Libération https://www.liberation.fr/culture/livres/annie-ernaux-un-prix-nobel-de-litterature-eminemment-politique-et-courageux-20221006_ACU4N2XTVBGH7NU6HWKQNYTW6A/