A traits vifs, l'écrivain se penche sur son adolescence. Quand il était beau comme le Tadzio de Visconti.

«"Tu ne voudrais pas faire du cinéma ?" m'a demandé Mercedes en me passant la main dans les cheveux. » On comprend la question de la jeune femme : sur le bandeau qui ceint L'Innocent, Christophe Donner a 14 ans et un visage finement dessiné, à la beauté toute viscontienne. Régulièrement, on fait d'ailleurs remarquer à l'adolescent combien il ressemble au Tadzio de Mort à Venise, le grand film décadent de Visconti. « Des moqueries et des allusions d'autant plus vexantes que, si je ne doutais pas de ma beauté, si j'avais tout à fait conscience de l'effet que produisaient ma jeunesse, mes cheveux bouclés, mes yeux bleus, ma petite bouche, mes manières, il n'était pas question de ressembler à cette poupée proprette et sophistiquée que Visconti avait choisie pour incarner le personnage de Thomas Mann. Plutôt crever que de devenir un objet de contemplation aussi charmant. »

Charmant, le jeune Christophe ne l'est pas, c'est vrai. Ou plutôt si, mais c'est malgré lui, à son corps défendant — aux innocents les mains pleines... Se penchant une nouvelle fois sur son passé — après Petit Joseph, L'Esprit de vengeance, L'Empire de la morale, entre autres moments d'autofiction brillants et saignants —, pour en nourrir ce roman d'apprentissage rapide et grinçant, Christophe Donner choisit une narration fragmentée, elliptique et remuante comme un scénario de la Nouvelle Vague. Il écrit tantôt « il », tantôt « je » — car, pour Donner, « les livres s'écrivent à deux : je et un autre... » —, retraçant à coups d'instantanés précis l'éducation sentimentale d'un très jeune adolescent, un enfant encore, précocement obnubilé par l'envie de connaître sa première expérience sexuelle. Avec, en toile de fond, l'ambiance résolument libertaire des années 1970. Ce pourrait être vaguement scabreux, mais c'est l'inverse : vif, sagace, attachant, plein d'autodérision et d'ironie mordante, et au fond plus grave qu'il n'y paraît de prime abord — peut-être parce qu'on est, dans L'Innocent, tellement près de l'enfant inconsolé qui, depuis plus de trente ans, inspire les humeurs mauvaises et la plume féroce de Christophe Donner.

Nathalie Crom sur Innocent de Christophe Donner, Telerama http://www.telerama.fr/livres/l-innocent,146633.php