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Nocive et attachante, c'est une mère — c'est LA mère, laissant sur le répondeur de sa fille des monologues qui hérissent le poil ou déclenchent la nostalgie. « Je te dérange ? » demande-t-elle. On l'imagine, levée depuis l'aube et tournant comme une lionne en cage, seule, tellement seule, et gonflée de reproches à l'égard de celle qui a autre chose à faire que la conversation. « Tu me parles comme si tu étais ma mère. N'inverse pas les rôles. C'est MOI, ta mère. Toi tu n'es que la fille »...

Carole Fives sait donner voix à ceux qui se glissent ainsi près de nous, telles des ombres, et qu'on écoute mal : un enfant devant ses parents en instance de divorce (Que nos vies aient l'air d'un film parfait, 2012), une femme en deuil (C'est dimanche et je n'y suis pour rien, 2014). Ici, elle accompagne donc une sexagénaire qui continue de se prendre pour une jeune fille qui s'est trompée d'avenir, dessinant avec une justesse d'aquarelliste le portrait d'une ogresse qui vous déchire le coeur : Charlène, qui fume trop, prendrait volontiers du whisky avec sa morphine et parle de son cancer en riant, a des accents de fillette intrépide. La voici en plein chantage sentimental : « Tu viens quand alors ? Bientôt quand ? » Les courts chapitres s'enchaînent comme dans un jeu de fléchettes. La romancière détourne puissamment les expressions modestes, ces « mots des pauvres gens » que chantait Léo Ferré. On est à la fois au bord des larmes et de la colère, à deux doigts de raccrocher — « Voilà, c'était maman. Au revoir... »

Ed. L'Arbalète/Gallimard, 112 p., 14 €.

Christine Ferniot