A la recherche d'Antoine d'Agata

Christine Delory-Momberger, Le geste d’Agata, André Frère Editions, 2017.

Par Arnaud Genon

geste-d-agata-andre-frere-editions-282x420.jpg

Depuis une dizaine d’années, Christine Delory-Momberger suit l’œuvre saisissante du photographe et vidéaste Antoine d’Agata. Après avoir publié avec lui, en 2008, un livre d’entretiens, Le désir du monde(1), elle se propose dans la présente analyse de « saisir et de restituer par l’écriture le geste créateur d’Antoine d’Agata dans toute sa radicalité et l’ampleur de sa dimension humaine, critique et politique ».

Le travail de d’Agata est une expérience, une quête tendue, dans un même mouvement, vers soi et vers l’autre, vers les autres, ces femmes qu’il rencontre – les prostituées, les criminelles, les droguées, les « rescapées » – et qui constituent autant de miroirs lui renvoyant l’image du monde qu’il tente de saisir. Son art, on le sait désormais, est des plus dérangeants puisqu’il explore les marges, les failles, l’infamie. Mais selon ses propres mots, « n’est valide qu’un art nuisible, subversif, asocial, athéiste, érotique et immoral, antidote à l’infection spectaculaire qui neutralise les esprits et distille la mort. »

La photographie que nous donne à lire l’artiste est une photographie « en acte », dans laquelle il s’engage autant que ses modèles. Les corps y apparaissent « dans leur violence, leur jouissance, leur abandon, leur désespérance, leur solitude », parfois, aussi, dans leur grâce. Les visages sont de même au cœur de sa recherche, porteurs du monde et révélateurs de sa violence. Mais c’est à la vidéo que s’intéresse aussi Antoine d’Agata dans un souci et une volonté d’accéder au réel et d’échapper à l’esthétisation ou au simulacre vers lesquels peut tendre parfois, malgré elle, la photographie.

Si l’art d’Antoine d’Agata est résolument transgressif c’est qu’il porte en lui une force politique : la « révolte », la « colère », la « conscience » du photographe s’inscrivent en creux dans chacune de ses images. Il affirme à ce sujet être aujourd’hui plus radical qu’il ne l’a jamais été. L’horreur du monde, « la monstruosité du sort que nous faisons aux migrants », « la misère contemporaine » occupent ses images et ses films qui font advenir une parole réduite au silence.

Le dernier chapitre interroge la posture énonciative adoptée par le photographe. Dans ses photos, d’Agata devient A, son double. « La fiction de A rejoint-elle la réalité d’Antoine ? » se demande Christine Delory-Momberger. La question est d’autant plus intéressante que l’artiste investit différents genres, le journal intime, le « journal prémédité » et compose au final une « autobiographie diffractée ». « Le réel c’est les autres, la fiction, c’est soi. » avait dit Jean-Luc Godard.

Dans Le geste d’Agata, Christine Delory-Momberger propose une analyse très fine et éclairante du travail d’un des photographes les plus singuliers de notre époque. Plus qu’une étude, c’est un parcours à l’intérieur du « flux d’une pensée », un cheminement jamais «docte», toujours accessible et sensible, dans les méandres d’une œuvre complexe mais dont on comprend, désormais, les enjeux et la force.

(1) Antoine d’Agata et Christine Delory-Momberger, Le Désir du monde, entretiens, Paris, Téraèdre, coll. L’écriture de la vie, 2008. Compte-rendu ici.

Arnaud Genon