Pierric Bailly, L'Homme des bois, P.O.L, 2017

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Equilibre parfait entre la pudeur et la stupeur, ce récit de deuil est un modèle du genre. Alors qu'il s'apprêtait à profiter d'une retraite bien méritée, le père de Pierric Bailly a été retrouvé mort au pied d'une falaise. Il aurait dévalé la pente par mégarde, en cueillant des champignons dans la forêt en amont. Le conditionnel est à l'origine de ce livre, écrit par un fils perplexe, sonné, mais toujours juste. Juste dans sa place de narrateur, aux premières loges et à distance des faits dont il accepte le mystère. Juste dans la tessiture de sa voix, émue, contenue, sans défaillance. Juste, enfin, dans sa confiance en la nature, celle de son Jura natal, dont il arpente les entrailles, au volant de la Seat Ibiza du défunt. Blotti dans ce vaisseau spatio-temporel, il se laisse bercer par les CD paternels, auxquels il ajoute les siens pour ne pas être sous emprise, juste en bonne compagnie.

Porté par cet état si particulier que peut susciter la mort d'un parent proche, qui donne accès à des sensations inconnues, à des éclairs de lucidité fugaces, Pierric Bailly revisite son propre paysage. Par la fenêtre de la voiture, il explore la magie des reliefs jurassiens, recréant pour son père une agonie féerique, entourée de lièvres, de renards, de lynx et de hiboux grands-ducs. Par la vitre de sa mémoire, il revoit toute une époque de luttes sourdes et de progrès silencieux de père en fils. Son écriture sobre et puissante fait momentanément fusionner leurs deux trajectoires de vie, souvent restées parallèles, mais liées par un même besoin d'indépendance et de discrétion. On peut appeler cela l'humilité, qualité dominante de ce beau livre sur la collision du visible et de l'invisible. —

Marine Landrot