« Berry good (bye) »

Laurent Herrou, Les Jours comptés, Jacques Flament, coll. « Câlin », 2019, 82 p. par Sylvie Loignon

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Faire les comptes

Compte à rebours d’une présence dans un lieu (le château de Villequiers) et de ce lieu lui-même, Les Jours comptés se présente comme une forme de bilan de ce qui a été vécu, de ce qui a été partagé et de ce qui reste. Ces jours comptés portent le crédit et le débit symbolique de l’héritage de la grand-mère de l’écrivain. Que reste-t-il d’une famille quand sa figure de proue a disparu ?

Cet héritage est aussi au cœur d’un règlement de comptes où les hostilités pas toujours enfouies se font jour, où chacun revendique sa part du gâteau / château. S’il faut régler ses comptes, et même régler son compte à la tante (à l’attente ?) malfaisante, c’est qu’une place est en jeu. Car régler ses comptes, c’est trouver sa place, montrer à tous que l’héritage est moins dans la valeur d’un bien que dans la transmission.

Conter

Et, de fait, transmettre, pour l’écrivain, ce n’est pas compter (sa fatigue, son travail, son temps), mais conter. Être la mémoire du lieu, la mémoire des êtres, la mémoire du temps lui-même. Les Jours sont aussi racontés dans ce livre où affleurent les fées, les sorcières et les princes charmants. Si le château est le décor par excellence des contes de fées, s’élèvent à nouveau dans le château de Villequiers les voix chères qui se sont tues. Car l’écrivain se fait un peu sorcier – il est celui qui entend ces voix, celui qui sait les transcrire. Il est celui qui fait vivre et revivre.

Ne pas s’en laisser conter

Être écrivain, nous dit encore Laurent Herrou, c’est ne pas s’en laisser conter. Faire preuve d’une lucidité envers soi-même et les autres. Mettre de la distance de soi à soi, du je au tu. Evaluer les distances entre les lieux, entre les temps, entre les gens – de Paris à Villequiers, à Bruxelles, à Avignon.

S’il en est un qui a bien compris tout cela, c’est le chat, Berry – double de l’écrivain. Si la tante maléfique a confié Berry à ceux-là mêmes que l’écrivain déteste, il est certain que, tel l’écrivain, il ne se laisse pas manipuler. Il traverse le temps et porte dans ses yeux verts le mystère de Villequiers.

Dans sa sauvagerie et sa liberté, il reste attaché à ce lieu – tel un seigneur.

Sylvie Loignon