« Douleur et Gloire », un grand Almodóvar qui a la saveur d’une palme d’or

Antonio Banderas dans « Douleur et gloire », de Pedro Almodóvar. (MANOLO PAVON / EL DESEO) Projeté à la Croisette et en salles ce vendredi, cette autofiction du réalisateur espagnol est, au sens littéral, un chef-d’œuvre.

Drame espagnol de Pedro Almodóvar, avec Antonio Banderas, Asier Etxeandia, Penélope Cruz (1h52).

Ce n’est pas une autobiographie, précise Pedro Almodóvar, plutôt une autofiction. Coquetterie typique de l’artiste inquiet de s’être livré trop intimement. Qui Antonio Banderas incarne-t-il sinon l’alter ego du cinéaste, sous sa barbe poivre et sel et sa tignasse hirsute ? Salvador, son personnage, est réalisateur. Il habite un appartement identique à celui d’Almodóvar, porte les mêmes vêtements. En rééducation après une opération chirurgicale, Salvador déprime. Il s’épanche sur les migraines, sciatique, tendinite, qui rythment son quotidien.

Il se souvient de son enfance miséreuse dans la campagne de Valence comme d’un havre de bonheur renoirien au centre duquel rayonnait sa première star, sa mère (Penélope Cruz, plus Sophia Loren que jamais). Il renoue avec Alberto, acteur junkie sur le retour, auquel il ne parlait plus depuis trente-deux ans et qui l’initie à l’héroïne. Ensemble, ils doivent présenter à la Cinémathèque madrilène une version restaurée du film à l’origine de leur fâcherie, « Sabor ». En français, « Saveur ». Salvador, qui a perdu le goût des choses, apprécie peu l’ironie.

Un cinéaste s’est-il déjà raconté à ce point ?

La dépression de l’artiste à l’heure du bilan, le cinéma plus beau que la vie, qui n’est que douleurs : ces poncifs, Almodóvar les dynamite avec une franchise inouïe et la sagesse du vieux maître qui n’a plus rien à cacher. Un cinéaste s’est-il déjà raconté à ce point, si frontalement ? Pas même Fellini avec « Huit et demi », dont on aperçoit l’affiche. Trier le vrai du faux a aussi peu d’importance que de distinguer ce qui, dans le récit gigogne, relève du souvenir ou du fantasme. L’un et l’autre se nourrissent. L’art, les rêves et le réel s’emboîtent jusqu’à former un tout indissociable, sans quoi le cinéma serait bien pauvre, et l’existence, insurmontable.

Antonio Banderas et Pedro Almodóvar sur le tournage du film. (MANOLO PAVON / EL DESEO) Antonio Banderas et Pedro Almodóvar sur le tournage du film. (MANOLO PAVON / EL DESEO) Almodóvar sait que l’odeur de pisse et de jasmin du cinoche de sa jeunesse est aussi précieuse et, en fin de compte, universelle que le chagrin de ne pas avoir été l’homme dont sa mère aurait été fière. Il n’a peut-être pas retrouvé un ancien amour grâce à une de ses créations. Il n’a probablement pas eu d’insolation à 9 ans en découvrant le corps nu du maçon analphabète auquel il donnait des cours d’espagnol, vision épiphanique qui l’éveille à son homosexualité.