« La diversité des témoignages historiques est presque infinie. » (Marc Bloch)

« La littérature a cette faculté de créer un espace de mémoire. » (Véronique Tadjo)

« L’homme ne se souvient pas du passé ; il le reconstruit toujours. . Il part du présent et c’est à travers lui, toujours, qu’il connaît, qu’il interprète le passé. » (Lucien Febvre)

Le monde a une Histoire. Chaque peuple, nation ou pays a également une histoire. Les histoires singulières font partie intégrante de l’Histoire. Les pages de cette Histoire ont été écrites par des évènements heureux mais aussi malheureux. Les figures ayant marqué l’histoire tribale, ethnique, nationale et mondiale se démarquent de par les causes (nobles ou ignobles) qu’elles ont défendues et surtout par leur(s) mode(s) opératoire(s) mis en œuvre pour atteindre leurs objectifs. C’est dans ce sens que les faits historiques demeurent ou devraient demeurer dans la mémoire individuelle et collective, de génération en génération. Les productions scientifiques et artistiques constituent des moyens d’interrogation, de reconnaissance, de transmission, de pérennisation ou d’archivage des faits et des hommes de l’Histoire. Aussi peut-on songer à l’expression ou à la formule consacrée et en vogue qu’est « le devoir de mémoire » (Primo Levi et al, 1997). Ce « devoir », mieux ce défi a, de plus en plus, une envergure plus accrue à l’heure actuelle de la mondialisation et de l’hypercommunication/médiatisation. À côté du « devoir de mémoire » clamé par Levi et désormais décrié autant par les critiques que les artistes (le cas « Opération Rwanda » n'y a pas échappé), émerge, dans les pratiques testimoniales de l'extrême-contemporain, une autre formule (neutre) qu’est le « travail de mémoire » qui sous-entend autant une prise de distance avec l'événement qu'une heuristique mesurée de la mémoire (Coquio, 2015). C’est dire que le désir de témoigner, de se remémorer semble s’imposer aux (sur)vivants, aux contemporains. D’ailleurs, l'historienne Annette Wieviorka (1998) parle, elle, de « l’ère du témoin », vu que l'acte testimonial ou mémoriel est devenu une pratique sociale importante.

Le témoignage est, en effet, un acte d’éveil de la mémoire pour dire sa/la vérité ou ses/les vérités sur le(s) vécu(s) individuel(s) et/ou collectif(s) plus ou moins lointain. Selon Hélène Wallenborn (2006 :121), il s’agit de « l’expression d’une expérience qui en même temps atteste de ce qui s’est passé ». C’est une entreprise de rétrospection et d’introspection, voire de sublimation qui a la particularité, en littérature (appréhendée ici dans son sens le plus large), de se présenter sous plusieurs formes (roman, théâtre, poésie, nouvelle, mémoire, récit, biographie, autobiographie, autofiction, alterfiction, non-fiction, photo-roman, etc.). À ce titre, l’écriture testimoniale, sur le double plan poético-thématique, est sous-tendue, entre autres, par la factualité/référentialité, la fictionnalité ou « fictivité » (Varnerot, 2010), le travail de (la) mémoire, l’oubli, la négation, le déni, la subjectivité ou l’objectivité et l’hybridité générique. En outre, elle est une initiative qui est (profondément/psychiquement) motivée et a une intention(nalité), du moins des enjeux tant au niveau individuel (de l’auteur.e-témoin/enquêteur ou reporteur) qu’au niveau transindividuel (tribal, ethnique, social ou inter/national).

Le présent appel à contribution se propose d’interroger la/les poétique(s) et les (en)jeux du témoignage en littérature ou de la littérature du témoignage indépendamment du (sous-)genre, de la période et de l’aire géographique et culturelle. Les axes suivants, loin d’être exhaustifs, peuvent guider la réflexion des contributeurs :

Périodicité(s) et aire(s) géoculturelle(s) du discours littéraire testimonial : comparatisme, francographie, postcolonialité, postmodernité ou contemporanéité, etc. La poéticité testimoniale (transgénérécité, intermédialité/intertartialité, intertextualité, métatextualité, métarécit/discours, etc.) : théâtre, nouvelle, roman, conte, poésie, mémoire, récit, biographie, autobiographie, autofiction, alterfiction, non-fiction, photo-roman, etc.

La diversité et la transversalité des thématiques testimoniales (l’histoire en littérature ou la littérature historiciste) : la Traite négrière, l’exclavage, les génocides/fratricides, la Shoah/l’antisémitisme, les guerres civiles, la Révolution française, l’expérience du Goulag ou le totalitarisme stalinien, l’Apartheid, la colonisation (l’expérience des « tirailleurs sénégalais » ou anciens combattants et les guerres d'indépendance en Afrique et en Asie), les deux Grandes Guerres, les catastrophes naturelles ou nucléaires et autres accidents historiques, les assassinats ou emprisonnements des leaders religieux ou politiques, les putschs/coups d’état, prises en otage, attentats et terrorismes majeurs, etc.

Les réécritures testimoniales ou les modalités d’archivage de l’histoire : approches croisées œuvres littéraires et transpositions/adaptations (cinématographiques, picturales, BD, DA, etc.), traductions, rééditions, créations théâtrales, etc.

Approches linguistiques du discours littéraire testimonial : l’énonciation, la caractérisation, le système verbal, l’oralité à l’écrit, le sociolecte ou jargon, les motifs sémiotiques, le style, les figures du discours (euphémisme, hyperbole, ironie, métaphore, prosopopée, etc.), etc.

Subjectivité versus objectivité du/dans le témoignage : perception, interprétation, affects, émotions, (auto)justification, (anti-)plaidoyer, etc.

Témoignage et mécanismes mémoriels : traumatisme (personnel/collectif), souvenirs, oublis ou apories mémorielles, sélection, « simplification », « accentuation » (Rastier, 1999), prospection, reconstruction, résilience, etc.

Témoignage et devoir/travail de mémoire individuel et/ou collectif

Le profil ou la figure du témoin et « le pacte testimonial » (Philippe Forest, 2002) : le témoin oculaire, le témoin posthume, le témoin victime/acteur ou bourreau, le témoin direct/indirect, le bon/mauvais/faux témoin, le témoin enfant/jeune/adulte, etc.

Témoignage et éthique de la responsabilité

Témoignage et géo/écocritique

La figure ou la posture de l’écrivain(e) testimonial(e) : témoignage au féminin vs témoignage au masculin, témoignage féministe vs témoignage masculiniste, témoignage et idéologie(s), témoignage et sciences humaines/sociales (histoire, politique, anthropologie, sociologie, économie, philosophie, psychanalyse, etc.), etc.

Le témoignage : entre uchronie, dystopie et utopie

Les méthodes d’enquêtes de terrain des auteurs testimoniaux ou les techniques de collecte des données de témoignages (entretiens, enregistrement audio/visuel, vestiges, documentation, archives, etc.) : lire à ce propos le dossier n°18 (juin 2019) de la revue Fixxion, codirigé par Alison James et Dominique Viart (lien : http://www.revue-critique-de-fixxion-francaise-contemporaine.org/rcffc/issue/view/28/showToc) ou encore Laurent Demanze (2019) dans son essai Un nouvel âge de l’enquête.

La production testimoniale et l’esthétique de la non-fiction créative (Creative Nonfiction)

La réception de la littérature testimoniale au niveau national et international : critique journalistique et/ou universitaire, prix littéraires, inscriptions au programme scolaire ou académique, etc.

Productions testimoniales circonstancielles libres : interviews des auteurs/acteurs, poèmes et nouvelles ou récits courts, dessins, photographies, etc.

Références bibliographiques indicatives

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Coquio, Catherine (2015). Le Mal de vérité ou l’utopie de la mémoire. Paris : Armand Colin.

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Demanze, Laurent (2019). Un nouvel âge de l’enquête. Paris : José Corti.

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Garcia Marquez, Gabriel (2003). Vivre pour le raconter. Paris : Grasset.

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Wajcman, Gérard (2002). L’Objet du siècle. Paris : Verdier.

Wieviorka, Annette (1998). L 'Ère du témoin. Paris : Plon.

Les contributions peuvent être en français ou en anglais.

Les propositions ou résumés (d’une longueur de 300 mots environ) accompagnées d’une notice biobibliographique sont à envoyer avant le 15 janvier 2020 à l’adresse suivante : projetemoignage2020@gmail.com

Calendrier prévisionnel du projet :

15 janvier 2020 : soumission des propositions de résumé 15 février 2020 : réponses aux auteurs après sélection 15 mai 2020 : réception des propositions entières 30 août 2020 : réponses aux auteurs et modifications éventuelles 30 septembre 2020 : réception des propositions définitives Fin décembre 2020 : publication de l’ouvrage

Coordination du projet :

- Christophe Premat, Université de Stockholm (Suède) - Alain Ekorong, Université de Douala (Cameroun) - Alain Agnessan, The University of Western Ontario (Canada)

Porteur du projet : Jovensel Ngamaleu, Université de Douala (Cameroun)

Contacts : cpremat2000@yahoo.fr ; eko367@gmail.com ; aagnessa@uwo.ca ; jovenselngamaleu@gmail.com

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Publié par Isabelle Grell