Odyssée intime de la peur

Claire Legendre, Le nénuphar et l’araignée, Les allusifs, 2015

125_v_le-nenuphar-et-l-araignee.jpg Qu’y a-t-il de plus intime que nos peurs ? Que disent-elles de nous, que traduisent-elles de nos vies ? Dans Le nénuphar et l’araignée, Claire Legendre expose et explore avec courage – celui qu’il faut aux écrivains qui disent ‘je’ – ses craintes, ses phobies et ses angoisses. L’hypocondrie occupe dans ce texte, aux frontières de l’essai et de l’autofiction, une large place. Elle est le mot de tous les maux, physiques ou psychiques. Elle dit la peur de la piqûre des vaccins qui sauvent ou des aiguilles qui pénètrent dans la moelle épinière pour ne pas souffrir, la peur des maladies qui tuent, la peur de la « Piqûre d’amour (1) » et des douleurs qu’elle occasionne, son flot de désirs et de manques.

Mais l’ironie du sort confronte l’hypocondriaque à la véritable maladie, non plus celle fantasmée ou psychosomatique, mais celle qui prend la forme d’un nodule au poumon ou d’un papillon sous le sternum, un thymus qu’il faut extraire. La peur prend corps, prend place en lui et il faut alors composer, autant qu’on puisse, avec l’idée de la mort…

Cette traversée des peurs est une véritable odyssée personnelle, un voyage dans le temps - de l’enfance à l’âge adulte - ainsi que dans l’espace - Nice, Prague, Montréal, le corps de la narratrice. Mais ce livre des peurs, cet « inventaire » des frayeurs est aussi paradoxalement celui d’une écriture d’une force extraordinaire, de ces écritures qui, selon le mot de Michel Leiris, osent « introduire ne fût-ce que l'ombre d'une corne de taureau dans une œuvre littéraire (2) ». Rien de plus fort, de beau et délicat qu’une telle mise à nu. Les peurs demeurent, « l’écriture n’est pas un exutoire » note à juste titre l’auteure. Elles demeurent mais elles ne sauraient avoir le dernier mot car c’est aux écrivains – aux vrais – qu’il revient toujours !

Arnaud Genon

Notes :

1. La Piqûre d’amour est le titre d’un livre d’Hervé Guibert : La Piqûre d’amour et autres textes suivi de La Chair fraîche, Paris, Gallimard, 1994.

2. Michel Leiris, « De la littérature considérée comme tauromachie », dans L'Âge d'homme, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2004, p.10-11.