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« Je ne répondrai plus jamais de rien » : Linda Lê aux confins de la déraison

Avec pour viatique « L’Homme-Jasmin », le livre culte d’Unica Zürn, une fille descend sur les traces de sa mère au plus profond des souffrances de l’exil. Une puissante incantation qui ravive l’héritage de la tragédie vietnamienne. Par Bertrand Leclair Publié le 02 janvier 2020 à 10h00

« Je ne répondrai plus jamais de rien », de Linda Lê, Stock, 144 p., 17 €. Depuis le mémorable Calomnies (1993), Linda Lê a confié toute son œuvre romanesque aux éditions Christian Bourgois. Cette fidélité exemplaire à laquelle n’avait pas mis fin le décès de l’illustre éditeur, en 2007, n’aura donc pas résisté à la reprise mouvementée de la maison par la famille Mitterrand, début 2019, puisque ce nouveau roman, marqué par l’exil comme tous les précédents, paraît sous d’autres atours aux éditions Stock. Il faut entrer dans le livre pour se souvenir que la couverture ne fait pas davantage l’écrivain que l’habit le moine, heureusement, ni la typographie le style, évidemment. On retrouve dès les premières pages la langue puissante de Linda Lê, une langue claire et forte qui appelle la voix haute, visant à l’incantation sans s’interdire le ressassement : comme s’il s’agissait d’appuyer tant sur la mine, écrivant, qu’à la fin la page pourrait enfin se percer à jour. On retrouve aussi son refus obstiné de séparer la littérature et la vie, la volonté au contraire de les entremêler au plus serré pour en révéler les arcanes. Nul hasard si Je ne répondrai plus jamais de rien commence et finit à Elseneur, au Danemark, au pied de la forteresse qui fut le théâtre de la folie feinte d’Hamlet et de l’aliénation réelle d’Ophélie. Plusieurs fantômes s’y croisent, qui ravivent l’héritage de la tragédie vietnamienne par la voix d’une narratrice née en France, mais qui s’adresse à sa mère récemment disparue avec ses secrets d’exilée perpétuelle.

publié par Isabelle Grell