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Parfois, il faut s’y prendre à deux fois pour atteindre son but.

Par Nathalie Collard

L’an dernier, quand on a refermé Ton absence m’appartient, le premier livre de la journaliste Rose-Aimée Automne T. Morin, on se disait que l’autrice n’était pas allée au bout de son histoire. Dans cet essai sur le deuil, elle racontait sa singulière relation avec un père qui se savait condamné, et qui avait décidé de faire de sa fille son « projet personnel ». On avait l’impression — et nous écrivons ceci avec bienveillance — qu’en choisissant d’écrire un essai, la jeune femme avait voulu se protéger. Et qu’en donnant la parole, à la suite de son récit, à d’autres personnes qui témoignaient de leur résilience, elle avait en quelque sorte érigé une barricade autour d’elle. Or c’était son histoire à elle qu’on voulait lire. Et on avait donc refermé le livre en restant un peu sur notre faim.

Rose-Aimée est retournée s’asseoir devant son ordinateur et, un an plus tard, elle nous propose un roman qui poursuit l’exploration de cette relation père-fille atypique et intense.

L’homme qu’elle décrit dans Il préférait les brûler, on le connaît. On a fait sa connaissance dans le livre précédent. C’est à la fois un loser magnifique, un père plus grand que nature, un mégalo manipulateur, vulnérable, attachant et pervers. Si c’est compliqué comme lectrice de se positionner par rapport à lui, on n’ose imaginer comment il a pu être difficile d’être sa fille.

On sait de ce Michel qu’il n’a été ni un bon conjoint ni un bon père. Sauf pour Fauve, la narratrice, qu’il a voulu forger à l’image de ce qu’il considère comme la femme idéale.

Et le temps presse. Car Michel a le cancer, il est condamné.

Ce roman est donc l’histoire d’une petite fille qui grandit avec une bombe à retardement sous le nez. Une enfant qui, après avoir redouté la mort de son père, finit par l’espérer. Car l’agonie durera plus de 10 ans.

Durant toutes ces années, Fauve grandit dans une famille dysfonctionnelle, auprès d’une mère anxieuse, une tante instable et une grande sœur blessée.

Entre les séjours chez son père et un quotidien chaotique, la fillette se construit une carapace que même les travailleurs sociaux les plus aguerris n’arrivent pas à percer. Anxiété, angoisse, maladies psychosomatiques… La petite Fauve n’a pas eu droit à l’insouciance de l’enfance. Elle a dû porter sa famille sur ses épaules. Et les stigmates sont nombreux.

Dans ce premier roman à la fois dur et émouvant, Rose-Aimée T. Automne Morin emprunte un ton qui n’est jamais larmoyant. Son autofiction dégage même une immense empathie pour tous ces adultes qui n’ont pas su la protéger.

En fait, en digne fille de son père, Rose-Aimée Automne T. Morin est en contrôle. En fin de compte, elle nous révèle bien ce qu’elle veut nous révéler. Et c’est suffisant pour comprendre qu’elle revient de loin. On se réjouit qu’elle ait finalement écrit ce livre qui brûlait en elle. Et on prédit qu’il y en aura d’autres. Beaucoup d’autres.

Il préférait les brûler, Rose-Aimée Automne Morin, Stanké, 2020.