Aujourd'hui où, enfin, Hervé Guibert reprend sa place, que son visage sérieux et étique nous regarde des premières de couverture, Constance Joly-Girard nous offre dans ce cerceuil en verre qu'est son livre une autofiction autant paternelle que personnelle, un peu à la Alice Toklas de Gertrude Stein. Son récit oscille entre le féerique d'existences fabuleuses qui nous manquent tant dans nos temps des couvre-feus et la liberté de vie majuscules assumées, parfois sans ménager les proches. Non, ce livre n'est pas seulement le récit d'un père. Il s'agit plutôt de la chronique d'une odyssée d'une génération d'intellectuels français de la deuxième moitié du XX. siècle qui se découvre, à prendre aux deux sens du terme. On aurait aimé connaître tous ces protagonistes. On peut les approcher grâce à la plume de Contance Joly qui traduit en mots et images la solitude, le combat, la folie, le manque autant que l'exaltation, la brûlure de l'être, le Sida, la soif de vivre de d'(être) aimé.e. L'auteure nous apprend, comme jadis son père le faisait avec elle, à entendre "le bruit des ronces". Image christique qui aurait plu à l'auteur du Mausolée des Amants.

(Isabelle Grell)

Présentaion de l'éditeur

Over the Rainbow

Celle qui raconte cette histoire, c’est sa fille, Constance. Le père, c’est Jacques, jeune professeur d’italien passionné, qui aime l’opéra, la littérature et les antiquaires. Ce qu’il trouve en fuyant Nice en 1968 pour se mêler à l’effervescence parisienne, c’est la force d’être enfin lui-même, de se laisser aller à son désir pour les hommes. Il est parmi les premiers à mourir du sida au début des années 1990, elle est l’une des premières enfants à vivre en partie avec un couple d’hommes.

Over the Rainbow est le roman d’un amour lointain mais toujours fiévreux, l’amour d’une fille grandie qui saisit de quel bois elle est faite : du bois de la liberté, celui d’être soi contre vents et marées.

Article de Brice Homs:

La petite Constance n’est pas une enfant comme les autres. La petite Constance est une enfant comme les autres. Elle a juste un papa pas comme les autres. Alors quoi ? Alors des années après, à l’âge adulte, la douleur frappe encore. Elle frappe à la porte. D’une phrase de trop. D’un mot qui salit. Alors parce qu’il y a des arc-en-ciel, et qu’on peut lever les yeux vers eux, Constance, la grande, la femme accomplie, va en fabriquer un de ses mots, couche par couche, strate par strate, couleur par couleur, et… Dieu que c’est beau !

De la qualité qu’incarne son prénom, cadeau du père qui l’avait choisi pour elle sous cette augure, Constance l’auteur, tient la promesse, avec justesse, avec pudeur, avec la patience que mérite l’amour. Elle refait le trajet. Etape par étape. Strate par strate, couleur par couleur.

Un ciel bleu, un coquelicot rouge, une chambre orange, un matin dans la verdure…

C’est l’histoire de Jacques qui aime Lucie qui aime Jacques. Jacques au visage de cire le jour de son mariage, résigné à habiter une vie qui n’est pas la sienne. Jacques qui, un jour, un soir peut-être, se laisse enfin aller à lui-même. A suivre un autre homme. Puis un autre. L’histoire de Jacques qui quitte Lucie et leur fille Constance pour aller vivre avec Ivan, œil bleu et moustache drue. Jacques qui vit enfin, parle enfin, rit enfin, rayonne. Lucie qui perd confiance en elle, en sa beauté, vaincue. Constance entre les deux, avec les deux, qui devient femme, avec tout, malgré tout. Les jeans, les stan smith, les premiers copains. Putain il est pédé ton père ? Les années quatre-vingt. Les années quatre-vingt-dix. Lucie. Constance. Jacques.

Il faut de la pluie et du soleil pour faire un arc en ciel. De la pluie, il y a en aura suffisamment dans les larmes. Du soleil, dans l’amour immense qui ne quittera jamais ces trois-là. Jusqu’à ce que l’orage arrive. Quatre lettres pour une maladie dévastatrice. Jacques est un des premiers malades du Sida. Et un des premiers morts emportés par cette vague sombre. Bien sûr, San Francisco, bien sûr les rencontres d’un soir, l’ivresse de ne pas être conforme à la norme, de la défier, par fierté. Mais bien sûr aussi la difficulté d’advenir de soi-même coûte que coûte, d’en infliger la peine aux autres, aux aimées, aux amants.

Constance Joly embrasse l’histoire de Jacques, son père, avec une compréhension rare. Ce faisant, là où d’autre se contenteraient d’un récit, elle fait œuvre de littérature. Poétique, parfois charnelle, son écriture, finement ouvragée, qu’on avait déjà remarquée dans « Le matin est un tigre » tape au cœur, au ventre, et dessine pour le lecteur l’arc-en-ciel d’émotions promis, plein de beauté et d’apaisement. De la douleur à la douceur, il n’y a qu’une lettre de différence, un « c ». Ce n’est sans doute pas un hasard si c’est la première lettre du prénom de Constance. Le père avait donc bien choisi. Merci Jacques !

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Over the Rainbow de Constance Joly – Editions Flammarion.

sites:

https://www.constancejolygirard.com

publié par Isabelle Grell