Après avoir été la première personne transsexuelle à obtenir une nomination dans un gala de cinéma au Canada, la comédienne et écrivaine Gabrielle Boulianne-Tremblay défonce encore des portes. Avec La fille d'elle-même (Éditions Marchand de feuilles), elle devient la première femme trans à publier un roman d'autofiction francophone au Québec. « Le pari de l'autofiction, c'est qu'on ne sait pas si on va en sortir indemne », observe Gabrielle Boulianne-Tremblay au micro de Pénélope. Elle explique qu'elle mûrissait ce livre depuis très longtemps et elle parle aussi du rôle de la poésie dans sa vie.

L’autofiction me permet d'infuser dans ce roman-là ce qui m’a sauvé la vie : la poésie.

Critique parar Mylene Gagnon:

Gabrielle Boulianne-Tremblay publie son premier roman, une autofiction qui aborde le parcours d’une femme trans de l’enfance à l’âge adulte.

« Je ne suis pas moi. Je suis quelqu’un d’autre. Je ne me reconnais pas dans le miroir ... On a coupé à blanc ma féminité », se dit la narratrice enfant, prisonnière d’un corps de garçon, cheveux coupés à la Nick Carter des Backstreet Boys.

C’est la première scène du roman qui dévoile le mal-être de la narratrice par rapport à son genre. La comédienne Gabrielle Boulianne-Tremblay, qui a aussi fait paraître deux recueils de poésie, signe ici son premier roman. C’est également le premier roman d’autofiction francophone écrit par une femme trans au Québec à être publié. Du soulagement, c’est ce que ressent celle qui a été nommée aux prix Écrans canadiens pour son rôle dans le film Ceux qui font les révolutions à moitié n'ont fait que se creuser un tombeau.

C’est un travail de longue haleine, dit-elle. Palpitant, mais aussi essoufflant, puisque je devais toujours essayer de ramener le plus près possible de moi ce projet. Il y a eu des périodes de découragement, mais enfin, les gens peuvent avoir accès à cette histoire écrite avec tout mon cœur et toutes mes tripes.

Un récit d'apprentissage

La fille d’elle-même est le récit d’une femme trans que l’on suit de l’enfance – les années 1990 – jusqu’à la vie adulte, du village, à la grande ville. Un récit qui a évolué au fil des années, à l’instar de l’écrivaine. Ça fait plus de 10 ans que j’ai commencé l’écriture de ce roman, donc avant ma transition, indique Gabrielle Boulianne-Tremblay. Initialement, il y avait deux personnages principaux, un homme et une femme. En parlant au "je" à travers le personnage féminin, c’était une façon de vivre ma féminité. Quand j’ai su que j’étais une femme trans, le personnage féminin est devenu central.

Se raconter lui aura permis de se rendre compte du chemin parcouru, mais aussi de voir plus clair dans celui qui lui reste à tracer. Mais il s’agit d’une autofiction. Si l’écrivaine et la narratrice se confondent souvent, elle tient à préciser que les parents du roman, plus réfractaires à son identité, ne sont pas ses parents : J’ai été privilégiée, mais je tenais à parler de l’expérience que la majorité des personnes trans vivent.

Le roman débute d’ailleurs sous forme d’un manifeste, initialement publié dans la revue Zinc. Il dresse le bilan des situations transphobes qu’elle a vécues depuis sa transition, mais aussi celles vécues par son entourage trans.

''Dites-moi donc que c’est pas normal que la police débarque au bar avec des flashlights pour inspecter nos papiers, que dans les rires qui s’échappent des uniformes il y a la terreur de mourir sur place

Dites-moi donc que c’est pas normal de pas pouvoir accéder à son compte bancaire par téléphone parce que notre voix ne correspond pas au genre administratif qui n’a pas encore été changé''

Si son récit aborde la transidentité, l’écrivaine insiste sur le fait qu’il ne s’adresse pas spécifiquement à la communauté LGBTQ+, mais surtout à ceux et celles qui ne connaissent pas cette réalité et qui aimeraient la comprendre.

Assistons-nous à une popularité croissante de la littérature trans? Gabrielle Boulianne-Tremblay y voit un engouement, et pas qu’une mode. Chris Bergeron publiera au mois de mars son premier roman, qui raconte l’histoire d’une femme trans en 2050. Pour moi, ça signifie que la société est prête à entendre des histoires comme ça, elle est curieuse, estime-t-elle. On a toujours existé, c’est juste que maintenant, on prend notre place, on veut partager notre vécu et notre façon de voir le monde.

publié par Isabelle Grell