A l’ombre des souvenirs retrouvés

Michaël Uras, Nos souvenirs flottent dans une mare poisseuse, Christophe Lucquin Éditeur, 2014

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A lire les informations que l’on trouve ça et là sur Internet concernant la vie de l’auteur, on se dit que le petit Jacques, narrateur de Nos souvenirs flottent dans une eau poisseuse, n’est pas étranger à Michaël Uras. Mêmes origines italiennes du côté du père, maçon de profession, mêmes voyages l’été en direction de la Sardaigne, mêmes enfances et adolescences dans « une petite ville perdue »… Il parle d’ailleurs de ce roman, son deuxième(1), comme d’une « autofiction (2) », même s’il relève davantage, par le mélange assumé du réel et du fictif et par l’absence de pacte, du roman autobiographique.

Mais l’essentiel est ailleurs. A travers un ensemble de situations anecdotiques – premières amours, départ en vacances, jeux avec les enfants du quartier… – le narrateur nous plonge dans son âge tendre qui est celui d’un jeune garçon d’origine modeste, entouré de ses deux frères, de sa mère et de son père immigré italien, vivant dans une petite ville française où se côtoient, au sein du même lotissement, classes moyennes et populaires. Les aventures heureuses et malheureuses de Jacques se succèdent à travers une vingtaine de chapitres qui constituent un ensemble, mais peuvent se lire de manière autonome. L’humour de l’auteur, toujours présent, teinte par ailleurs les différents épisodes de sa vie : son frère rêvant au destin des stars quand son père l’imagine « spécialiste du parpaing », l’aveu de l’amour du narrateur pour une jeune fille à sa mère que cette dernière interprète comme l’annonce d’un mariage. Même la naissance de la vocation littéraire du narrateur prend des tours d’auto-parodie.

Cependant le « je », le dérisoire, l’ordinaire d’une vie d’enfant qui n’a rien d’un super-héros et qui s’appellera « Jacques jusqu’au bout », se transmue rapidement en matière littéraire, en matière romanesque où légèreté et profondeur, joie et tristesse, mots bien trouvés et mélancolie se mêlent et créent une tonalité douce amer permettant de dire « le tiraillement entre deux lieux, deux identités (3) ». L’écriture, toujours juste, donne au roman un caractère universel dans l’évocation des premiers émois, des événements familiaux marquants (sorties dominicales, grands rendez-vous sportifs à la télévision), dans la relation que nous entretenons avec nos parents. C’est cela qui fait la force et le charme de ces souvenirs : réveiller les nôtres (création de la 7 en 1986, arrivée du magnétoscope dans les foyers…), les interroger dans ce qu’ils disent de nous et des êtres qui nous sont chers. Le narrateur, dans les dernières pages, dit avoir voulu « se débarrasser du passé qui collait encore à (s)es chaussures ». En le racontant et en le partageant, il écrit finalement un bel hymne à la mémoire et à nos réminiscences, aussi collantes soient-elles.

Arnaud Genon

Notes

1. Son premier roman, Chercher Proust, est également publié chez Christophe Lucquin Éditeur, 2012 puis Le Livre de poche, 2014.

2. « Un deuxième roman pour l’auteur jurassien Michael Uras », Le Progrès, 9/05/2014.

3. Ibid.

Retrouvez les autres publications de Christophe Lucquin Editeur : http://www.christophelucquinediteur.fr/