Sur Chloé Delaume, La règle du je. Autofiction : un essai, Presses Universitaires de France, coll. Travaux pratiques, 2010

Initialement publié sur le site Parutions.com

Par Arnaud Genon

L’autofiction est un genre très récent pris dans l’histoire de la littérature française. Même si la « chose » existait avant qu’elle ne fût nommée par Serge Doubrovsky en 1977, sur la quatrième de couverture de Fils (Galilée), elle n’avait commencé à être explorée, dans l’acception doubrovskienne du terme tout au moins, qu’une cinquantaine d’années auparavant, par Colette (La naissance du jour, 1928) ou André Breton (Nadja, 1928). Rappelons d’abord, avec Chloé Delaume, de quoi il est ici question : « Le pays de l’Autofiction impose un pacte particulier : le Je est auteur, narrateur et protagoniste. C’est la règle de base, la contrainte imposée. » Là-dessus se greffe l’imagination, l’invention, « A cause de la mémoire, de l’impossibilité de s’en remettre à elle ».

Le genre est donc récent mais déjà renouvelé par le passionnant travail de l’auteur du Cri du sablier (Farrago / Léo Scheer, 2000) qui, depuis une dizaine d’années, tricote la fiction et le vécu dans la quinzaine de livres qu’elle a publiés. Si certains font de l’autofiction feignant de ne pas le savoir, si d’autres préfèrent taire le nom du genre sulfureux et polémique – parce qu’incompris ou réduit à des critiques dignes des grandes heures du jansénisme (voir les critiques proférées contre le genre dans le chapitre 5) –, Chloé Delaume déclare fièrement que son « laboratoire affiche Autofiction résidence principale ». Et d’ajouter, « Les écrivains souvent réfutent les étiquettes, les classifications émanant des critiques. Ils redoutent de finir dans de petits bocaux, bien qu’aspirant au fond à baigner dans le formol de la postérité. Pour moi, c’est tout le contraire. (…) Je ne cherche pas à faire œuvre, mais surtout à faire vie. »

De la pratique, Delaume passe à la théorisation subjective puisque cet essai, « commandé » en 2008 par Laurent de Sutter, directeur de la collection « Travaux Pratiques » aux Presses Universitaires de France, vise à proposer un point de vue de l’intérieur : « Ce qu’est pour moi l’autofiction, le dire, le raconter. Le compte rendu d’un Je qui s’emploie à s’écrire, ce que ça peut signifier ». On trouve, à l’origine de la pratique autofictionnelle de l’écrivain et performeuse, comme souvent dans ce genre d’entreprise d’écriture de soi, une faille, une fracture identitaire : problème de nom, d’identité, d’Être… L’autofiction procède alors pour Delaume d’un suicide du Je, « celui d’avant », au bénéfice d’un nouveau, devenu « personnage de fiction qui s’écrira lui-même ». L’autofiction, nous dit l’auteur, est « une fictionnalisation de soi, lucide. Assumant ce qui échappe au soi par l’inconscient », une autobiographie, pourrait-on dire, consciente de son impossibilité qui se fiera, selon le souhait de Doubrovsky, plus au langage « qu’à la mémoire et bien plus qu’à soi-même ». A cela s’ajoute le signe distinctif propre à Delaume et à ceux qui la pratiquent le plus sincèrement : l’autofiction est un laboratoire d’écriture tout autant que de vie, l’autofiction est une expérience existentielle.

Mais il est bien difficile d’appartenir à cette « maison » nous révèle l’écrivain, il est dangereux de l’habiter, de donner son adresse… C’est là le constat qu’elle a fait lors de la publication de Dans ma maison sous terre (Le Seuil, 2009). Elle n’est pas chez elle ici, lui dit-on…Ou pire encore, la maison n’existe pas. Il s’agit alors, partant de ses propres textes, d’investir le mot d’un sens que la critique peine à proposer. Il s’agit aussi de lutter contre les topoï qui minent le genre, de lui rendre (lui donner) une portée politique : « J’use de la fiction pour construire reconstruire le passé le présent parce que je veux rester maître de mon destin. »

Cet essai, disons le, est une fiction… Dans le sens que toute théorie est une fiction. Ou une autofiction qui théorise l’autofiction. A coup sûr, une expérience, comme tous les livres de Delaume. Un captivant work in progress : « Le reste est à venir alors il adviendra ».

Arnaud Genon