L’intertextualité dans l’œuvre d’Annie Ernaux 

Plusieurs colloques ou journées d’étude généralistes ont déjà été consacrés à l’étude de l’œuvre d’Annie Ernaux, en particulier « Annie Ernaux, une œuvre de l’entre-deux » sous la direction de Fabrice Thumerel à l’université d’Artois en 2002, « Annie Ernaux, se perdre dans l’écriture de soi » sous la direction de Danielle Bajomée et Juliette Dor à l’université de Liège en 2008, « Annie Ernaux, se mettre en gage pour dire le monde » sous la direction de Thomas Hunkeler et Marc-Henry Soulet à l’université de Fribourg en 2012 et « L’œuvre d’Annie Ernaux : le temps et la mémoire » sous la direction de Francine Best, Bruno Blanckeman et Francine Dugast-Portes à Cerisy-La-Salle en juillet 2012.

Nous pensons qu’il reste encore beaucoup à dire sur une œuvre que le discours critique en France n’a prise qu’assez récemment au sérieux. La perspective retenue pour le colloque organisé par le CEREdI et l’Université de Rouen les 14 et 15 novembre 2013 est celle, très précise, de l’intertextualité (française et étrangère) dans l’œuvre d’Annie Ernaux, entendue globalement comme « effets de convergence et de divergence entre une œuvre et l’ensemble de la culture qui la nourrit » (Tiphaine Samoyault, L’Intertextualité, Armand Colin, 2005). Par ailleurs le colloque qui se déroulera en présence d’Annie Ernaux sera une manière de retour à la source puisque l’écrivain a passé son enfance et adolescence à Yvetot et a été étudiante en lettres à l’Université de Rouen où elle a d’ailleurs décidé de consacrer son diplôme d’études supérieures au surréalisme.

La notion d’intertextualité nous a semblé particulièrement pertinente, appliquée à une œuvre accueillie longtemps avec réticence dans les milieux lettrés – en particulier, après la publication de Passion Simple (1992). Des années durant (jusqu’à la toute fin des années 1990) l’œuvre d’Annie Ernaux fut doublement disqualifiée en France en raison de la présence en son sein d’une culture du monde dominé et d’un parti pris autobiographique clairement affirmé à partir du quatrième récit, La Place (1984). D’une part, l’on brocarda volontiers les références interdiscursives affichées (chansons, littérature dite populaire) ; d’autre part, les partisans d’une littérature canonique considérèrent que l’écriture de la vie, telle que la pratique Annie Ernaux dans un esprit de vérité, était une solution de facilité et de pauvreté, abstraite de toute mémoire littéraire.

S’intéresser à la richesse de l’intertextualité dans l’œuvre d’Annie Ernaux permet de tordre définitivement le cou aux préjugés de cette réception académique. Le colloque entend montrer la généalogie complexe d’une œuvre tissée à la fois de textes et discours de la culture antérieure et de sa culture environnante. Nous nous intéresserons à l’intertextualité fondamentale d’une œuvre poreuse au marmonnement du monde et à laquelle s’applique particulièrement bien la réflexion de Marc Angenot : « L’approche “intertextuelle” peut avoir pour effet de briser la clôture de la production littéraire canonique pour inscrire celle-ci dans un vaste réseau de transaction entre modes et statuts discursifs, le discours social. Il y a là une attitude nouvelle quant à la place même qu’occupe le littéraire dans l’activité symbolique. » (« L’intertextualité : enquête sur l’émergence et la diffusion d’un champ notionnel », Revue des sciences humaines, n° 89, 1983). Nous nous emploierons également à établir combien le travail constant de la mémoire de la lecture et de l’écriture féconde le processus créateur. On se permettra à cet égard de citer Annie Ernaux : « L’empreinte des livres sur mon imaginaire, sur l’acquisition, évidemment du langage écrit, sur mes désirs, mes valeurs, ma sexualité, me paraît immense. J’ai vraiment tout cherché dans la lecture. Et puis, l’écriture a pris le relais, remplissant ma vie, devenant le lieu de la recherche de la réalité que je plaçais autrefois dans les livres. » (L’Écriture comme un couteau, Stock, 2003). Les études génétiques ont d’ailleurs prouvé à quel point l’œuvre ernausienne est nourrie par la mémoire littéraire. C’est indéniablement une œuvre qui prend ses racines dans un terreau d’influences mêlées, admirées ou combattues, où se mêlent les écrivains glorieux (Proust, Flaubert, Woolf, Perec, Beauvoir, Sartre…) et une littérature populaire méprisée par les instances d’évaluation critique et universitaire.

L’œuvre d’Annie Ernaux est importante à bien des titres, mais aussi en ce qu’elle réussit le tour de force de s’affirmer comme une voix singulière et universelle grâce à un jeu intertextuel et, plus largement intersémiotique, intense et maîtrisé. En outre, il ne s’agira pas seulement de montrer en quoi cette œuvre peut dériver d’une culture syncrétique mais de suggérer en quoi comme texte second, elle réactive le sens de certains textes premiers dont elle s’est nourrie et comment elle a pu bousculer l’idée même qu’on se fait d’un texte littéraire.

Jeudi 14 novembre 2013 : Maison de l’Université, salle de conférences

9h : Ouverture du colloque par M. le Président de l’Université, allocution par Mme la Doyenne de la Faculté des Lettres et M. le Directeur du CÉRÉdI

I. Le canon

10h Lyn Thomas (London Metropolitan University) : « Ennemies de classe ou âmessœurs : Virginia Woolf et Annie Ernaux »

10h30 : Maya Lavault (Paris IV) : « Annie Ernaux : l’usage de Proust »

Pause

11h15: Marie-Jeanne Zenetti (Lyon II) : « Intertextualité et redéfinition de l’écriture de soi : Rousseau, Hugo et Annie Ernaux »

11h45 : Linda Rasoamanana (Mayotte) : « Annie Ernaux et Albert Camus : transfuges et médiateurs »

II. Nouvelles formes romanesques

14h 30 : Merete Stistrup-Jensen (Lyon II) : «L’autobiographie impersonnelle : Georges Sand, Selma Lagerlöff, Gertrud Stein et Annie Ernaux »

15h : Nathalie Froloff (Tours) : « Le choc Vassili Grossman »

Pause

15h30 : Elise Hugueny-Léger ( University of Sussex) : « La fête chez Annie Ernaux et Pavese : jubilation et solitude partagée »

16h : Thomas Hunkeler (Fribourg) : « Annie Ernaux et le Nouveau Roman : une histoire d’amour ratée ? »

Vendredi 15 novembre : Maison de l’Université, salle de conférences

III. Intratextualité

9h 30 : Pierre-Louis Fort (Cergy-Pontoise) : « Agendas et journaux intimes »

10h : Alain Schaffner (Paris III) : « La passion dans Une passion et Se perdre »

Pause

11h : Fabrice Thumerel (Arras) : « Écrire entre pour écrire la vie : Les Années »

11h30 : Véronique Montémont (Université de Lorraine) : « Les Années : une chambre d’échos »

IV. Intermodalité

14h30 : Michelle Bacholle-Boskovic (Eastern Connecticut State University) : « L’intersémiotique ernalienne : un dialogue au-delà de l’écriture »

15h : Fabien Gris (E.N.S Lyon) : « La cinémathèque d’Annie Ernaux »

15h 30 : Discussion générale et conclusion

16h15 : Fin du colloque

Mise en ligne Arnaud Genon