Laurent Herrou, la Fnac et Le Petit mot

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La Fnac Toison d’Or (l’une des deux localisations que possède la Fnac à Bruxelles) m’informe ce jour, par le mail de l’un de ses responsables des Produits Editoriaux, « de la décision de (sa) direction de ne pas commercialiser (mon) livre dans (son) magasin. »

Le livre en question s’intitule Le Petit Mot.

Il recense sur huit ans d’activité de libraire à la Fnac (2000-2008) dans l’un de ses magasins en France (Nice), les sentiments ambivalents qui traversent son auteur vis-à-vis de l’emploi alimentaire, nécessaire pour survivre dans la société française de XXIème siècle quand on est un artiste. Il témoigne des rencontres (avec les clients, occasionnels ou réguliers), rend compte des lectures (personnelles ou « Coups de Cœur ! », pour reprendre la terminologie Fnac, et parfois coups de gueule aussi…), convoque auteurs (qu’ils soient présents sur la « surface de vente » ou uniquement dans leurs publications), il met en parallèle deux « mondes du travail » différents, opposés, antagonistes et complémentaires : celui de faiseur de livres et celui de vendeur de livres. Soit, écrivain et libraire, fusionnés dans la même entité : Laurent Herrou, auteur du Petit Mot. Il est autofiction puisque sous forme de journal intime et qu’il y puise sa matière, il est exercice de style, ou plutôt, pour reprendre la belle expression de Sylvie Loignon dans l’article qu’elle a consacré au livre (1), « relève d’une écriture à contraintes » (chaque phrase contenant ce « petit mot » éponyme, « Fnac »), il est ou se veut « libre, différent, audacieux » (pour citer l’exergue de Denis Olivennes, alors PDG du Groupe Fnac, dans un courrier à l’endroit de ses employés).

Qu’un éditeur, belge de surcroît, dénommé Eléments de langage, s’intéresse à ce texte-là, précisément, n’est pas un hasard : le « je(u) de (petit) mot » contenu dans cet O.L.N.I. (Objet Littéraire Non-Identifié, suivant la dénomination de l’une des collections de l’éditeur) ne laisse pas indifférent et donne au texte sa justification pour passer de plaisir solitaire à œuvre littéraire. Pour Sylvie Loignon, « (le petit mot) donne à voir un univers oppressant et répétitif (…), il rythme la phrase comme il rythme l’emploi du temps » (1). Pour Arnaud Genon (2), « le mot, dans sa répétition, dans son ressassement créé une saturation qui relève aussi de la jouissance. C’est ce que remarquait Roland Barthes dans Le plaisir du texte, lorsqu’il notait : « la répétition engendre elle-même la jouissance. Les exemples ethnographiques abondent : rythmes obsessionnels, musiques incantatoires, litanies, rites, nembutsu bouddhique, etc. : répéter à l’excès, c’est entrer dans la perte, dans le zéro du signifié ». Et c’est exactement l’effet que produit Le Petit mot, livre devenu litanie, incantation dans lequel « Fnac » n’est plus qu’un signifiant engendrant une musique quasi vaudou au pouvoir cathartique. » « Mettre le langage en réflexion pourrait être sa devise », écrit Nicolas de Mar-Vivo, fondateur d’Eléments de langage, au sujet de son catalogue : « Il ne recherche pas le profit mais de nouveaux espaces littéraires pour y faire résonner des voix singulières. »

couverture_20recadree_20LE_20PETIT_20MOT_20pour_20WEB_jpg_opt528x814o0_0s528x814.jpg Aujourd’hui, Le Petit Mot est référencé sur le site de la Fnac. C’est-à-dire que l’on peut le commander, sur le site en question et en magasin, voire l’y trouver si un libraire (et plus certainement, un Responsable Livres et Produits Editoriaux) s’y intéresse et prend la décision de l’y placer. En cela, l’information bruxelloise est caduque : dans la mesure où le livre est référencé sur le site de l’enseigne, son magasin ne peut pas « ne pas (le) commercialiser ». Il peut tout au plus ne pas le faire figurer en rayon, dans la mesure où le livre ne relève d’aucun « office » (commande obligatoire, dépendant d’accords entre librairies et distributeurs).

Au responsable de la Fnac Toison d’Or — qui avait accepté l’ouvrage en premier lieu alors qu’il ne faisait pas encore l’objet d’un référencement de l’enseigne —, j’ai précisé en réponse à son mail que « le livre n’est pas polémique à l’encontre de la Fnac : il explore simplement les sentiments qui naissent à la fois d’une dichotomie (être écrivain / être libraire) et des contraintes de tout un chacun vis-à-vis de son travail. »


Notes :

(1) : http://www.autofiction.org/index.php?post/2018/03/25/Le-visage-oublie-%3A-la-hantise-du-Petit-Mot-de-Laurent-Herrou-Laurent-Herrou

(2) : http://www.parutions.com/index.php?pid=1&rid=1&srid=304&ida=18769

Laurent Herrou, auteur du Petit mot, éd. Eléments de langage, coll. O.L.N.I, 2018, ISBN 978-2-930710-15-0