Après le succès de La Maison (Flammarion, 2019) et Mr. en 2011, dans lequel la narratrice revenait sur son expérience de la prostitution dans une maison close allemande, Emma Becker prolonge son introspection dans L’inconduite.

Emma Becker se sent, un peu comme Nelly Arcan, esclave du regard que les hommes portent sur elle – et c’est précisément de décrire avec verve et drôlerie (on se souvient tous de l'épisode où elle enseigne à un futur marié comment pratiquer le cunnilingus), cet esclavage qu'elle avait illustré dans La Maison, en ne cachant pas les épisodes sordides que l'on peut vivre dans une "maison" berlinoise. Comme une première étape de son exploration intime, l’expérience de la prostitution lui avait révélé certaines clefs pour comprendre les ressorts de sa perpétuelle recherche de l’approbation masculine.

Le titre: L’inconduite, dont la définition est "mauvaise conduite sur le plan moral". Mais qui se conduit mal dans ce récit à la première personne et où Emma, la narratrice, jeune, jolie, mère, épouse, amante, aimante, est aimantée par les yeux que les hommes portent sur elle. Pas LES hommes, certains hommes autour desquels tourne, comme un manège, la réflexion de la Berlinoise par choix. Ces hommes à pouvoir, imbus d'eux-mêmes, qui ne la voient pas vraiment, pour lesquels elle est une psyché, c'est eux qui l'attirent. Elle souhaite les prendre dans ses filets, mais finalement, la proie, c'est elle. "L'enfer, c'est les autres", on le sait. Emma le ressent dans sa chair, dans la vrai vie, mais elle le met sur papier sans aucn pathétisme. Avec clairvoyance, avec humour, avec rage aussi, celle qui engendre les plus belles pages empruntes d'une ironie, d'une perspicacité qui peut faire mal.

Comme Roquentin, l'écrivaine dit "Ecrire et vivre sont deux choses distinctes. oui, mais pas quand on écrit comme moi." Emma Becker a le culot d'arracher cette écriture, ses "histoires de fesses" et de cul, donc de trous (de vie, dans la vie) aux hommes. La crudité dans des pages jouissives côtoient des moments de solitude intellectuelle où la narratrice tente d'éclaircir pourquoi elle tombe toujours dans les même trous. Elle et les autres, aussi. Pourquoi? D'ailleurs, le fait-elle vraiment ou est-ce une sorte de toupie qu'elle nous présente avec L'Inconduite? C'est bien, l'inconduite, ce n'est pas facile, l'inconduite, mais au moins, on vit.

Emma Becker, L'inconduite, Albin Michel, août 2022

publié par Isabelle grell