Avec "Odile l'été", Emma Becker se penche sur l'éveil féminin à la sexualité ()

Roman érotique signé de l'autrice française Emma Becker, "Odile l'été" raconte, sur le mode de l'autofiction, les premiers émois amoureux lesbiens de deux jeunes filles et de l'influence de ceux-ci sur leurs futures expériences. Depuis son entrée en écriture en 2008 avec une nouvelle érotique parue dans la revue "Stupre", l'autrice française Emma Becker a toujours mis le désir et la sexualité au coeur de ses ouvrages.

Il y a eu "Mr" (2011), sur sa relation avec un chirurgien, ami de ses parents, "Alice" (2015) qui décrit une relation d'une jeune femme avec un homme de vingt ans son aîné, "La maison" (2019), tiré de son expérience de deux ans passés dans une maison close berlinoise (Prix du roman des étudiants France Culture-Télérama), et "L'inconduite" (2022), un roman qui parle de désir et de sexualité féminine après la maternité.

Des récits qui utilisent tous le processus de l'autofiction en mélangeant éléments autobiographiques et fictionnels. Son nouveau roman, "Odile l'été", ne déroge pas à la règle.

L'influence des premiers émois amoureux

Cette fois-ci, c'est l'éveil de la sexualité de deux jeunes filles à travers des expériences homosexuelles qui est au coeur de son récit. Plus de quinze ans après l'avoir perdue de vue, la narratrice retrouve Odile, la fille d'amis de ses parents avec laquelle elle a passé plusieurs étés durant lesquelles les deux fillettes ont partagé ensemble jeux amoureux, fantasmes et premiers désirs. Evoquant leurs souvenirs sur cette période, les deux femmes se confient sur l'influence que ces premières expériences affectives ont eu sur leur vie sexuelle future.

"Le but était d’imaginer un érotisme qui se dégagerait de l’influence masculine, du regard masculin sur les femmes", explique Emma Becker à la RTS.

Questionner la naissance de l'hétérosexualité

"Odile l'été" est aussi prétexte pour l'autrice à questionner la construction de l'hétérosexualité et le rôle de l'éducation dans ce processus. Dans son roman, la narratrice et Odile perpétuent des schémas hétérosexuels. "On n'a qu'à dire que je serais un garçon et toi tu serais une fille et on serait amoureux...", propose Odile, alors même qu'elles n'ont pas encore eu de relations avec des hommes.

Et lorsqu' âgées de 12-13 ans les deux jeunes filles se rendent compte que ces jeux qu'elles partagent ne sont peut-être pas des jeux, mais l’esquisse d’une identité sexuelle, c'est avec inquiétude qu'Odile se demande: "Mais peut-être qu’on est lesbiennes?"

Dans notre société et de par notre éducation, "si une femme commet ce 'pas de côté' d’aller vers d’autres femmes, c’est presque une trahison, estime Emma Becker. C’est d’ailleurs souvent considéré comme quelque chose qui n’engage à rien, une petite expérience, mais qui ne nous détournera pas du but ultime que sont l’homme et le service de l’homme."

A la question de savoir si, à travers ce roman, elle règle des comptes, Emma Becker répond: "Je n’ai pas de rancoeur contre cette éducation ou contre les hommes, mais je suis intéressée par l’idée de décortiquer les fondements de cette obsession que j’ai toujours eue pour les hommes, alors même que les débuts de ma vie sexuelle et affective se sont passés avec des femmes."

A travers l'écriture, Emma Becker veut décrire le monde et la société dans lesquels elle vit avec "le plus d'acuité possible". Et pour ce faire elle estime ne pas pouvoir faire l'économie de cette question: "Pourquoi considère-t-on que l’hétérosexualité est un état basique, un état neutre?". "Tout le monde part du principe que vous êtes hétéro jusqu’au moment où vous dites le contraire", analyse-t-elle.

Un vrai roman de littérature érotique

"Odile l'été" est le deuxième ouvrage publié dans la nouvelle collection "Fauteuse de trouble" (Editions Julliard), dirigée par Vanessa Springora. Une collection qui se présente avec l'ambition d'"articuler intimité et émancipation, érotisme et féminisme, corps et révolte, sexuel et textuel".

Aux côtés d'Ovidie qui a signé la première publication de la collection sous le titre de "La chair est triste hélas" il y a quelques mois, Emma Becker a désormais sa place parmi les autrices françaises de littérature érotique et l'assume parfaitement: "Depuis que j’écris, on m’a toujours dit que je faisais de l’érotisme, ce qui était un raccourci un peu facile. Mais 'Odile l’été' a été l’occasion de faire vraiment de la littérature érotique, au sens propre du terme, et j’étais vraiment ravie d’avoir cette occasion-là".

Des propos recueillis par Pierre Philippe Cadert

Adaptation web: Andréanne Quartier-la-Tente

Emma Becker, "Odile l'été", collection "Fauteuse de trouble", Editions Julliard.