Reconfigurations de l’autobiographique au XXIe siècle

Assises de la littérature contemporaine française et francophone

Naples, 24-25 octobre 2024

Le groupe des spécialistes de littérature française au sein du département de Studi Umanistici de l’Université « Federico II » de Naples souhaite pérenniser, sous la forme d’un colloque universitaire triennal, les Assises de la littérature contemporaine francophone, dont le premier moment interrogeait, en 2018, la négociation de la littérature contemporaine par rapport à son héritage (Écrire avec les livres : présences de la littérature française du passé dans les romans et récits contemporains). Le second colloque, qui se tiendra en octobre 2024 en collaboration avec l’Université « L’Orientale » de Naples, le Centre de recherche Visages (Variazioni e Ibridismi delle Scritture Autobiografiche nelle letterature francofone - Variations et hybridismes des écritures autobiographiques dans les littératures francophones) et le groupe « Osservatorio sul romanzo contemporaneo », interrogera la littérature autobiographique de ce premier quart du XXIème siècle, un moment charnière de l’histoire littéraire dans lequel cette littérature n’aura cessé d’intensifier sa production – aussi bien en confirmant des œuvres nées au XXème (celles d’Annie Ernaux, Pierre Bergounioux, Camille Laurens, Catherine Cusset, Chloé Delaume, Philippe Forest, Emmanuel Carrère, Philippe Vilain, Christine Angot) qu’en en faisant émerger de nouvelles (celles de Camille de Toledo, Mohamed Mbougar Sarr, Joseph Ponthus, Thibault de Montaigu) –, mais aussi, par effet de dilution, d’acquérir enfin une véritable légitimité après avoir été, au tournant du siècle, l’objet d’un vif mépris intellectuel.

En effet, si au début des années 2000, l’autobiographique se trouvait en procès, accusé d’être un mauvais genre, narcissique, impudique, a-littéraire, victime d’une entreprise de réduction, sa légitimité ne semble aujourd’hui plus contestée, et le mépris des tenants du « moi haïssable » s’est globalement dissipé sous l’effet conjoint :

1. de la fortune mondiale du terme « autofiction », dont l’extension sémantique, devenue une référence dans le domaine culturel, a fini par légitimer globalement la pratique « autobiographique », au point de se substituer au terme « autobiographie » et d’indifférencier la diversité de ses modes d’application.

2. De l’hyper-production de la littérature démultipliant les éditions professionnelles et amateures, ainsi que les pratiques à travers des écrits personnels de toutes natures, déplaçant, pour certains de ces écrits, des formes journalistiques vers la littérature (comme le reportage et l’enquête mis au ban d’une presse qui n’a plus les moyens de les financer), ou réhabilitant des modes historiques du récit de soi (mémoires, journal intime, life-writing, écritures de la vie) sous l’influence des sciences de l’esprit, des philosophies religieuses et ésotériques incitant au développement personnel ou à l’expression thérapeutique.

3. De la démocratisation de nouvelles pratiques numériques (vidéo, film, photographie, podcasting), démultipliant les possibles autonarratifs tout en assurant une large diffusion à travers des blogs, réseaux sociaux sur l’Internet, et, par voie de conséquence, le décloisonnement du paysage autobiographique (de la photoautobiographie de Roland Barthes jusqu’à l’exposition de soi à travers le web).

4. De la vitalité de la littérature francophone incitant à choisir le français comme langue d’expression littéraire ou bien à opérer un travail de métissage sur cette langue pour décliner l’expérience autobiographique (Maryse Condé) ou pour la refuser (Dany Laferrière) ou encore pour créer une narration chorale où le « moi » est relégué au second plan : les récits d'événements historiques, de filiation, de traumatismes collectifs et de génocides occupant le devant de la scène.

Sans prétendre épuiser toutes les possibilités de réflexion sur le sujet, ce colloque se propose d’établir un panorama critique de la littérature autobiographique française et francophone de l’extrême contemporain, et d’observer dans quelle mesure un nouvel espace autobiographique se reconfigure et se redimensionne, se circonscrit et se redéfinit au cours de ces deux premières décennies du XXIème siècle. À titre d’hypothèse de travail, nous pourrons appréhender ce panorama à travers deux optiques :

. Une optique théorique permettant de sonder les méthodes de la littérature autobiographique. L’incroyable fortune du concept d’« autofiction » – terme passé dans le langage courant – semble avoir revitalisé la recherche interdisciplinaire en matière autobiographique à travers de nombreux colloques organisés dans le monde, en relançant ou en ouvrant de manière opportune le débat sur les questions de « pacte autobiographique », d’« identités narratives » et « identités numériques », d’ « indécidabilité », « d’ambivalence » ou d’« hybridité générique » jusqu’aux formes plus récentes d’hybridation intersémiotiques/intermédiales. Il s’agira d’examiner les tendances théoriques et critiques de la littérature autobiographique qui se forgent et se perpétuent en ce début de XXIème siècle. Qu’en est-il de la critique autobiographique et de cette opposition de principe théorique entre une critique résolument orthodoxe de l’autobiographie, canonisée par Philippe Lejeune, (prônant un pacte autobiographique, une fidélité mémorielle du récit au vécu) et une critique hétérodoxe, théorisée par Serge Doubrovsky (dérogeant librement et autofictionnellement au principe de ce pacte) ? Quels nouveaux cadres théoriques permettent d’analyser et de lire la littérature autobiographique aujourd’hui ?

. Une optique pragmatique auscultera les tendances de la production autobiographique contemporaine française et francophone. Deux grandes tendances semblent se dégager sur le modèle de la division théorique orthodoxie/hétérodoxie : 1. Une tendance non-fictionnaliste, dont Annie Ernaux semble être la cheffe de file, retranscrivant fidèlement l’expérience vécue au prisme du social et soucieuse d’une restitution de la mémoire. D’autres écritures du réel s’inscrivent dans cette continuité comme les récits de deuil, de filiation et du traumatisme, les mythologies de l’enfance, les confessions et les repentirs, les journaux et les mémoires, les témoignages, les enquêtes et autres « littératures de terrain » (Dominique Viart). 2. Une tendance fictionnaliste dont Serge Doubrovsky, inventeur du concept d’autofiction, est la figure emblématique, défendant une permissivité de la réécriture du vécu, une réinterprétation libre jouant avec l’inconscient du sujet ou falsifiant son référentiel jusqu’à sa réinvention par la mémoire. Modernité fictionnelle qui trouve son accomplissement tout à la fois dans les fictions du réel, représentées par l’autofiction, la docufiction et la biofiction, mais aussi dans les différents modes de subjectivation et formes de ressaisies esthétiques, poétiques, fantasmatiques, ludiques de l’être. Qui relance un questionnement inhérent au statut des identités narratives et au rapport du sujet à la vérité dans un contexte fictionnel de brouillage référentiel.

À l’intérieur de ce grand partage, se déploie une grande variété de pratiques autobiographiques : avant tout une autobiographie ‘politique’, impliquée, englobant des parcours de vie (la réédition de Stardust œuvre première de Léonora Miano), voire de développement personnel (Lisette Lombé, La magie du burn-out) et encore l’expérience du sujet genré telle qu’elle se déploie dans l’œuvre de Nina Bouraoui, et celle du sujet sexué telle qu’elle se manifeste dans les récits de Marie-Thérèse, Nelly Arcan et Guillaume Dustan. Ou bien encore, les récits qui jouent avec la limite de l’égo-histoire en utilisant sa dimension narrative, comme c’est le cas de Didier Eribon dans son classique Retour à Reims. À cela s’ajoute la constellation des autobiographies intermédiales, nées de la mythologisation individuelle, et la variété de formes provenant des pays francophones. Certains écrivains par exemple, adoptent une position ambivalente vis-à-vis de l’autobiographisme : Dany Laferrière rejette ce genre tout en parsemant ses textes de traces de soi, alors que Maryse Condé n’hésite pas à introduire des éléments fictifs dans son récit personnel, faisant écho à la production féminine provenant d’Afrique. Ici, le sentiment de rupture et d'aliénation de soi se manifeste de manière spécifique dans la création des identités hybrides, comme dans le cas d’Assia Djebar ou de Nina Bouraoui. De plus, de nombreux textes mettant en avant l’autre, l’ailleurs, le sujet postcolonial est marqué par son instabilité et son indétermination, témoignant du sentiment de non-appartenance du moi « migrant ». Il s’agira, donc, d’étudier les structures formelles à travers lesquelles ces auteur.e.s tissent le fil de la subjectivité, montrant combien et comment l’écriture de soi, provenant du Québec à l'Afrique, des Antilles au Maghreb, se dissocie de la théorie et des pratiques occidentales.

Le colloque est ouvert aux chercheurs en littérature et en d’autres disciplines, mais aussi aux écrivains qui viendront témoigner de leur expérience autobiographique et partager leur vision.

Le colloque est organisé en partenariat avec l’université L’Orientale de Naples et l’Institut Français Napoli, l’équipe de recherche Visages et l’Osservatorio sul romanzo contemporaneo.

Comité scientifique: Bruno Blanckeman, Federico Corradi, Samia Kassab Charfi, Véronique Montémont, Magali Nachtergael, Valeria Sperti, Philippe Vilain.

Comité d’organisation: Michele Costagliola d’Abele, Michela Lo Feudo, Adelaide Pagano.

Date limite d’envoi des propositions et modalités d’envoi :

La proposition comprendra un titre provisoire, un résumé de 5000 signes maximum et une brève notice bio-bibliographique. Celle-ci sera à adresser conjointement à assises2024@gmail.com et à Philippe Vilain (philippejeanandre.vilain@unina.it) et avant le 31 décembre 2023. Les réponses seront données après le 29 février 2024.

L’organisation du colloque prévoit que chaque participant voyage et séjourne à ses frais. En revanche des déjeuners et des dîners seront organisés. Aucun frais d’inscription au colloque ne sera demandé. Une publication des actes est prévue : tous les articles y figurant seront soumis à une double révision par les pairs. Toutes les informations seront indiquées sur le site dédié https://assises2024.wixsite.com/assisesnaples, actuellement en construction.

Responsable : Università degli Studi di Napoli Federico II

Url de référence : https://assises2024.wixsite.com/assisesnaples

Adresse : Naples (Italie)

publié par Isabelle Grell