Laurent Herrou est né à Quimper en 1967. En 2000, il a publié Laura, sa première autofiction, aux éditions Balland, dans la collection « Le Rayon » dirigée par Guillaume Dustan. Il met au cœur de ce premier livre les thématiques et problématiques qui hantent désormais son travail : la difficile quête identitaire d’un sujet tiraillé entre le masculin et le féminin, le bonheur et son impossible réalisation, l’écriture du corps – le sien – et des corps – les autres, fantasmés ou réels – et de leurs désirs…

De là émerge un « je » fragmentaire, multiple et insaisissable (Le bunker, Jacques Flament éditions, 2015) qui se dit et s’invente, se projette et se décuple à travers romans, autofictions, journaux personnels, textes courts publiés en revues ou petites vidéos. Il vient de publier, aux très sérieuses et indépendantes éditions Jacques Flament, son journal de l’année 2015.

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« Toute vie est un roman » : entretien avec Laurent Herrou réalisé le 12 avril 2016. Par Arnaud Genon

Arnaud Genon : Le journal intime a toujours tenu une place particulière dans votre travail. Votre premier livre (Laura, Balland, « Le Rayon », 2000) contenait déjà une partie de votre journal de l’époque. En 2014, vous avez publié La Part généreuse (Jacques Flament éditions), le journal d’un voyage à Montréal. Vous publiez maintenant le journal que vous avez tenu tout au long de l’année 2015. Comment définiriez-vous la relation que vous entretenez à cette écriture du quotidien ?

Laurent Herrou : Il y a deux éléments dans votre question, que je distinguerai, si vous le permettez. La relation que j’entretiens avec mon journal, cette « écriture du quotidien » comme vous dites, et celle que j’ai avec mon journal publié. Ecrire au quotidien s’est révélé un besoin à une certaine époque de ma vie, sans que je n’en comprenne complètement la raison. Avant cela, j’avais une « écriture » différente, notamment au cœur de mes agendas, dans lesquels je cherchais à consigner tout, et le plus souvent a posteriori (ce qui se rapproche de l’activité d’un diariste) en y agrafant les tickets de cinéma des films que j’allais voir, ceux des spectacles auxquels je me rendais, des photographies d’amis aux dates auxquelles je les avais rencontrés, des courriers aussi, des cartes de visites, tous ces éléments doublés parfois de quelques lignes personnelles. L’écriture d’un journal, en tout cas le récit de moments vécus sous une forme plus littéraire, et plus suivie, est venue plus tard : je vivais à Paris, c’était dans les années 90. L’une de mes amies m’avait offert entre temps Le Feu d’Anaïs Nin (son journal expurgé publié aux éditions Stock) et je pense qu’inconsciemment, cela influençait mon quotidien. J’écrivais alors à la main dans un grand cahier, je retapais le tout sur ordinateur quand j’en avais le temps ou entre deux rendez-vous au boulot. C’est cette matière, parisienne, qui a donné lieu au premier manuscrit, en tout cas à son squelette (la première partie de Laura, qui n’est pas de l’ordre du journal).

Aujourd’hui, écrire au quotidien est un poison dont j’ai besoin pour tenir le coup : ce pourrait être une drogue — ça l’est parfois — mais je préfère l’idée du poison. J’ai un rapport masochiste et sensuel avec le journal : il me fait du bien en même temps qu’il me blesse. Mon corps le boit de manière psychosomatique, il s’en nourrit. Les jours où je suis privé de l’écriture du journal, je me sens physiquement mal (au point de pouvoir changer de personnalité) mais parfois lorsque je suis devant, ou dedans, je me sens mal également. C’est souvent une fois les mots écrits que je me permets à nouveau de respirer. Et cela rejoint la question du journal publié : j’ai beaucoup de plaisir à regarder cette matière morte reprendre vie entre les mains des lecteurs, et entre les miennes lorsque je m’y replonge. C’est à la fois mon histoire et une histoire, et c’est aussi dans la globalité de la publication, dans son aboutissement, que je prends conscience des qualités de mon écriture.

Arnaud Genon : Pourriez-vous précisez les circonstances particulières dans lesquelles ce Journal 2015 a été tenu sur le site de votre éditeur ?

Laurent Herrou : Jacques Flament avait ce désir d’expérimenter l’écriture au quotidien en ligne sur son site, c’est-à-dire : au jour le jour, pendant une année, et de voir comment cela fonctionnerait. Il a proposé ce laboratoire de travail, justement intitulé Le Labo, à quatre de ses auteurs, avec l’engagement de sa part d’éditer l’ensemble des entrées publiées sur son site l’année suivante, sous la forme d’un journal de l’année précédente. Il n’y avait pas de contrainte (sinon ne pas exagérer la longueur d’une entrée — mais parfois certaines circonstances l’exigeaient et Flament ne censurait pas) : les entrées étaient mises en ligne par l’éditeur dans la foulée de leur envoi par l’auteur, avec toute l’ambiguïté de ce rapport-éclair entre l’écriture d’un texte et sa publication immédiate, via un éditeur : en cela ça n’avait rien à voir avec la tenue d’un blog ou les posts sur les réseaux sociaux ; il y avait une attente, une consigne, et une finalité.

Arnaud Genon : On vous classe généralement parmi les auteurs d’autofiction. Pour ne pas être trop théorique, on pourrait dire que vous faites de votre vie un roman. Comment le journal et vos textes plus romanesques cohabitent-ils ? Quels liens – s’il y en a – entretiennent-ils ?

Laurent Herrou : Je ne sais pas si je fais de ma vie un roman. J’ai tendance à penser que toute vie est un roman, du moins contient des éléments qui, présentés sous un prisme optimal, intéresseraient (car concerneraient) l’humanité entière. Dans mon cas, certains de ces éléments (la majorité) intègrent une matière brute que l’on appelle le journal. D’autres — mais parfois ce sont les mêmes — ont besoin d’avoir un écrin spécifique (le roman), et également une monture différente (le style) de celle du journal. Mais en règle générale, tout ce que j’écris a une origine autobiographique.

Arnaud Genon : Les détracteurs de l’écriture autobiographique – au sens large du terme –, font des écrivains du « je » de simples égocentriques, des narcissiques se contemplant dans le miroir de leurs mots. Comment vous situez-vous par rapport à ce type de critiques ?

Laurent Herrou : Les détracteurs de l’écriture autobiographique rentrent chez eux le soir, ils se déshabillent, elles se démaquillent, ils se regardent dans le miroir, se disent qu’ils ont pris du poids, se demandent si elles vont changer de crème de nuit, téléphonent à leur cousine, envoient un mail à leur pote, racontent leur dernier coup, s’invitent à dîner, se confient les secrets qu’ils avaient promis de ne pas divulguer, partagent leur quotidien, leurs expériences, leurs intérêts, leurs déceptions. Nous ne faisons rien d’autre que regarder ces vies, et plus particulièrement la nôtre propre, avec un œil d’entomologiste, et consigner les résultats de nos recherches. Nous sommes des scientifiques.

Arnaud Genon : Vous avez connu Guillaume Dustan (mort en 2005) qui a été votre éditeur et dont on redécouvre petit à petit l’œuvre, notamment par la réédition de ces livres aux éditions P.O.L (Œuvres I, P.O.L, 2013). Son écriture, son travail, la lecture qu’il a faite de vos premiers textes ont-ils exercé une quelconque influence sur l’auteur que vous êtes aujourd’hui ?

Laurent Herrou : Dustan m’a téléphoné un jour, il m’avait demandé de lui adresser un manuscrit qu’il pourrait publier — il en avait eu un en mains précédemment qu’il avait remarqué mais qu’il trouvait insuffisant pour publication — et je lui avais envoyé la première partie de Laura. Dans l’un des dialogues qui concluaient le manuscrit, je demande à l’un de mes amants de m’enregistrer sa voix alors qu’il m’a quitté, parce qu’avant de dormir, il me disait : « Dors bien, chaton ! » Dustan m’a dit au bout du fil qu’il y avait toute l’humanité dans une phrase pareille, toute l’émotion d’un livre, toute l’intensité d’un personnage et toute la vérité de la condition homosexuelle ; pour cette phrase-là — pas seulement, mais en tout cas, grâce à celle-là — il prendrait mon manuscrit avec fierté dans sa collection. Je crois que j’ai compris quelque chose ce jour-là. Grâce à lui.

Arnaud Genon : Quels sont désormais vos projets littéraires ? Travaillez-vous précisément à un livre ?

Laurent Herrou : Jacques Flament m’a demandé si je souhaitais continuer le travail de l’an passé autour de mon journal, mais sans le passage par son site : c’est-à-dire ce travail de sélection du journal, de retravail au jour le jour, de polissage de la matière pour qu’elle soit prête pour une publication équivalente en 2017 du Journal 2016. Cette idée m’occupe l’esprit. En parallèle, je tiens un « Journal de Résidence » sur le site de la Maison de la Culture de Bourges autour d’un projet sur l’autofiction avec un collège du Cher, journal qui sera probablement édité en fin d’année par le même Jacques Flament.

Arnaud Genon : Le mot de la fin ?

Laurent Herrou : Éric (1) et moi avons enterré Dominique Landry le 31 décembre 2015, entourés de sa très belle famille, que nous avions rencontrée grâce à notre installation dans le Cher, dans le château de ma grand-mère qui est un des personnages importants du livre (le château, comme ma grand-mère d’ailleurs). Le Journal 2015 lui est dédié.

(1) Éric est le compagnon de Laurent Herrou.

Liens

Les éditions Jacques Flament : http://www.jacquesflamenteditions.com/241-herrou-journal-2015/

Journal de résidence, Maison de la culture de Bourges : http://www.mcbourges.com/