Colette : autobiographie ou autofiction ?

Par Stéphanie Michineau

Initialement publié dans La Faute à Rousseau (revue de l’association pour l’autobiographie et le patrimoine autobiographique), n° 53, février 2010, p. 54-55. Une vision panoramique de l’œuvre de Colette peut laisser supposer, au premier abord, que son œuvre progresse par étapes vers l’autobiographie. Les romans autobiographiques du début (le cycle des Claudine est certainement le plus connu du grand public) chemineraient vers une émergence de l’autobiographie, avec l’apparition de l’auteure, pour la première fois, en 1922, dans La Maison de Claudine, qui s’insérerait dans une sorte de trilogie composée de La Naissance du Jour (1928) et Sido (1930) que d’aucuns considèrent comme « le pic autobiographique ».

C’est contre une lecture de cet ordre que je m’inscris ici. En vérité, Colette ne se contente pas d’aménager un arrière-plan autobiographique dans ses romans considérés comme tels, elle Centre d’études Colette fait accéder les personnages féminins de premier plan au rang d’alter ego : c’est le cas de Claudine bien sûr, mais aussi de bien d’autres figures féminines, comme nous allons le voir. Et, a contrario, les pseudo-autobiographies dans lesquelles Colette apparaît, sont plus romancées qu’elles ne semblent. Je pense à La Naissance du Jour, mais aussi à des recueils moins connus (qui gagnent à l’être !) tels que Bella-Vista (1937) et Chambre d’hôtel (1940) où elle s’appuie sur des anecdotes fictives bien qu’elle y affirme le contraire.

Colette procède, en définitive, toujours de la même manière, que ce soit avec ses héroïnes de premier plan ou avec la figuration d’elle-même dans son oeuvre : elle se reconnaît à travers elles (même si elles ne sont pas l’auteure en tous points) et, une fois l’identification établie, elle les utilise à des fins expérimentales. C’est le cas de Claudine, mais pas seulement. Annie, dans Claudine s’en va (1903), divorce trois ans avant la séparation de Colette elle-même avec Willy. La fin de L’Entrave montre, par contre, une Renée Néré à jamais « amarrée » à Jean, préfigurant les liens de l’auteure avec son deuxième mari, Henry de Jouvenel, consolidés par la naissance de Bel-Gazou en 1913. On pourrait dire de même pour Léa : Colette n’est pas Léa à l’origine, mais (désir conscient ou inconscient ?) elle endossera auprès de son beau-fils, Bertrand de Jouvenel, le rôle de mère de substitution, initiatrice de la connaissance du monde et de plaisirs… plus charnels ( ?!) Ainsi, le personnage de Colette dans La Naissance du Jour ne figure pas l’auteure à proprement parler, mais une sorte de modèle qui lui sert de tremplin vers une relation plus apaisée à l’homme et qui, finalement, préfigure « le code de la vie à deux » avec celui qu’elle nommera « son meilleur ami » : Maurice Goudeket, son troisième mari !

Mais alors, si Colette en use d’elle-même dans son œuvre comme elle le fait à partir de ses personnages féminins de premier plan, à quoi lui sert de figurer dans ses textes sous son patronyme ? Je suggérerai deux réponses. D’abord, il faut replacer Colette dans le contexte de son époque. Le retour à l’enfance que suppose La Maison de Claudine, c’est incontestable, permet de ménager une réhabilitation sociale à l’écrivaine dont la première partie de l’œuvre, jusqu’ici, « sentait le souffre ».

La deuxième raison qui la pousse à favoriser une lecture autobiographique réside en ce qu’elle a conscience de l’aura de réalité qui reste attachée au nom propre. Philippe Lejeune, perspicace, ne s’exclamait-il pas dans Moi Aussi ?: « Nommez, nommez, il en restera toujours quelque chose. Surtout si la personne que vous nommez, c’est vous ». C’est justement ce que fait Colette, pressentant qu’elle participe ainsi, de son vivant, à l’élaboration de sa légende ! En tout cas, Colette l’avoue elle-même dans l’un de ses derniers livres, L’Etoile Vesper, dans une sorte de bilan : « Romans, nouvelles, épisodes romancés, agencements, assez adroits, de la fiction et de la vérité, je m’en suis tirée. ». Son œuvre s’est toujours située dans cet entre-deux que l’on nomme aujourd’hui « autofiction ».

Suivant les intérêts du moment, elle aura eu tendance (à l’époque de Willy notamment) à mettre en avant l’ancrage autobiographique (« le scandale » fait vendre) et au terme de sa vie, le côté fictionnel : n’est-ce pas le sens à accorder, par exemple, à la publication, en 1953, dans le Figaro Littéraire, des véritables lettres de sa mère, Sido, dont le contenu va parfois totalement à l’encontre de celui des lettres reproduites dans La Naissance du Jour (je songe à la première lettre du livre) ? Dans le même ordre d’idées, c’est en 1947 que la préface de « Bella-Vista » dans les Œuvres Complètes révélait qu’il ne fallait pas accorder une quelconque réalité à l’histoire relatée dans « Bella-Vista ». Après avoir ébauché ici quelques pistes de réflexion (qui trouveront un développement plus conséquent dans un livre de 369 pages que j’ai écrit en 2008 sur le sujet), j’aimerai terminer sur un dernier point qui servira de conclusion à cette chronique, à savoir l’angle de vue de l’auteure elle-même.

Colette aurait été sans doute mi-amusée, mi-exaspérée par ces discours théoriques autour de l’autofiction qui auraient paru le fait de… pédants ! Pourtant, en même temps, elle n’était pas insensible à la réception que l’on pouvait effectuer de son œuvre. Dès lors, le documentaire de Yannick Bellon (Colette, 1950) dans lequel, quatre ans avant sa mort, elle accompagne de son regard malicieux, un canevas à la main, le départ de son ami, Jean Cocteau, prend tout son sens. Il faut bien sûr, interpréter le canevas tel une métaphore de son art scriptural… comme une réponse implicite à l’exclamation de Cocteau qui suggère qu’écrire est pour elle chose facile.

Colette n’attendait pas de la postérité que l’on qualifie son œuvre d’autofiction (terme inventé, rappelons-le, par Serge Doubrovsky en 1977) mais que l’on rende hommage à son travail d’élaboration littéraire, habile mélange de réalité, certes, mais aussi de fiction. C’est ce qui explique le nombre incalculable de photographies qui la représentent, le stylo à la main… comme une volonté de sa part que la postérité garde cette image d’elle. Voilà chose faite (avec le médaillon en ouverture de cette chronique) et, je l’espère, justice rendue à votre talent d’écrivaine, chère Colette !

Initialement publié dans La Faute à Rousseau (revue de l’association pour l’autobiographie et le patrimoine autobiographique), n° 53, février 2010, p. 54-55.

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publié par Isabelle Grell