Alcool, femmes et football

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Frederick Exley, Le Dernier stade de la soif

Editions Monsieur Toussaint Louverture, février 2011, 23 € 50

ISBN 978-295336-643-3

Publié en 1968, livre culte aux Etats-Unis, Le Dernier Stade de la soif restait inédit en France. Les éditions Monsieur Toussaint Louverture nous en offre une traduction préfacée par Nick Hornby qui y voit, à juste titre, un « chef-d’œuvre » auquel « colle la puanteur d’une vie réelle qui a pris le chemin d’un véritable désastre ».

Ici, le narrateur-personnage est aussi l’auteur, tout au moins en porte-t-il le nom. Cependant, dans son avertissement au lecteur, Frederick Exley note que « Même si les événements décrits dans ce livre ressemblent à ceux qui constituent le long malaise qu’est (s)a vie, nombre de personnages et de situations sont le simple fruit de l’imagination ». Il ajoute plus loin n’avoir « suivi que très vaguement le véritable déroulement de (s)a vie » et se considère, par là, « comme un auteur de fiction ». Il nous faut voir dans ce préambule à la fois la «précaution oratoire et juridique(1) » de circonstance dans ce genre de récit et un pacte autofictionnel, l’autofiction étant ainsi entendue dans le sens qu’en a donné Vincent Colonna lorsqu’il parle d’autofiction biographique : « L’écrivain est (…) le héros de son histoire, le pivot autour duquel la matière narrative s’ordonne, mais il affabule son existence à partir de données réelles, reste au plus près de la vraisemblance et crédite son texte d’une vérité au moins subjective – quand ce n’est pas davantage (2) ».

Disons tout de suite, en ce qui concerne le présent « héros », que le substantif est à comprendre dans son acception de « personnage principal ». Frederick Exley n’a en effet rien d’héroïque à moins que l’on ne considère l’alcoolisme, le soutien inconditionnel et maladif à une équipe de football américain (les Giants) et la fréquentation des hôpitaux psychiatriques comme des faits d’armes dignes d’être glorifiés… Il est au contraire le modèle de l’antihéros, mais en cela, au même titre que son double inversé, un véritable personnage de roman que l’on suit au cœur de sa déroute.

Ayant reçu de son père « ce besoin d’entendre (s)on nom chuchoté avec révérence », recherchant « l’adulation des foules », rêvant de devenir un génie, Frederick Exley est comme, dès l’origine, condamné à l’échec, sinon à la déception. Les insuccès sont nombreux, professionnels d’abord (dans la publicité, dans l'enseignement), amoureux et sexuels ensuite (3) et s’accumulent tout au long du roman. Ajoutons quelque internement en hôpital psychiatrique et l'on se fera une idée plus précise du personnage. Mais paradoxalement, chez Exley, les revers et les déboires s'exhibent sans pudeur : ils constituent tous autant de trophées, de preuves de son génie incompris.

Cette vie faite d’échecs, devenue roman, autofiction, se lit comme le bilan existentiel de Frederick Exley. Tour à tour hilarant, émouvant, sans aucune complaisance, Le Dernier stade de la soif est un roman picaresque de l’Amérique « Beat Generation », roman des marges, d'un marginal et des figures hautes en couleur qui l'entourent. Il retrace en même temps un parcours en forme de chute et sa transcendance rédemptrice par l’écriture car, selon les propres mots de l'auteur, « la littérature naît précisment de la souffrance » qu'elle essaie elle-même d'atténuer...

Arnaud Genon

Notes 1. Laouyen, Mounir. 1999, « L'autofiction : une réception problématique », Frontières de la fiction, http://www.fabula.org/forum/colloque99/208.php.

2. Colonna, Vincent. 2004, Autofiction & autres mythomanies littéraires, Éditions Tristram, p.93.

3. Le narrateur a une idée très précise de la femme idéale :« diplômée de Vassar (...) coiffée au carré, les cheveux blonds, les yeux verts et dotée de splendides jambes bronzées. (...) elle devait être une fille sociable, naturellement spirituelle (...) adpte d'une sexualité des plus débridées » (p.45).

Voir aussi : http://www.monsieurtoussaintlouverture.net/Livres/Frederick_Exley/Frederick_Exley_A_fans_notes.html